Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/164

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« Je me souviens de toi, mon frère, et de tous les tiens. À la minute suprême, toi seul étais présent dans mon esprit ; et c’est alors que je compris combien je t’aimais. J’avais encore le temps d’embrasser mes deux voisins — Plestcheïev et Durov — et de leur dire un dernier adieu... Le tambour bat aux champs. On ramène ceux qui déjà étaient attachés aux poteaux et on nous dit que Sa Majesté Impériale nous fait grâce de la vie. Ensuite on lit les arrêts véritables... Palme seul est gracié complètement et renvoyé dans l’armée, avec le même grade. Ton frère, Th. Dostoïevsky. »


Plus tard, il nota dans son Journal d’un écrivain : « Nous, les Pétrachevsky, nous étions sur l’échafaud et nous écoutions l’arrêt sans aucun remords. Je ne puis sans doute pas l’assurer de tous ; mais je ne crois pas me tromper eu affirmant que, pour la plupart, nous nous serions sentis déshonorés en reniant notre foi. L’arrêt qui nous condamnait à être fusillés ne fut pas lu par plaisanterie. Chacun était sûr qu’il serait exécuté. Aussi nous sommes passés, en moins de dix minutes, par les transes terribles de l’attente de la mort. En cet instant, quelques-uns d’entre nous, — j’en suis sûr — en se plongeant instinctivement dans leur âme pour y examiner toute leur vie encore si courte, se sont repentis de fautes très graves — de celles qui sont comme un secret à garder pour la conscience ; — mais la faute pour laquelle on nous avait jugés, la faute qui venait de nos idées, des opinions qui nous avaient dirigés, se présenta à nous non seulement comme n’appelant point le repentir, mais encore comme une force de purification, une sorte de martyre, qui nous ferait pardonner le reste ».

Dostoïevsky fait dire à l’un des personnages de son roman L’idiot que la rapidité de la mort qu’on croit proche la rend encore plus cruelle. Un homme est mis à la torture : son corps est couvert de plaies ; par suite, la douleur physique le distrait de la souffrance morale, si bien que, jusqu’à la mort, ses blessures seules constituent son sup-