Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/170

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publiés et on les connaîtra tels qu’ils étaient avant de passer par la censure. îl défie qu’on y trouve un seul mot dirigé contre la moralité ou contre l’ordre établi. Et cependant, il a été, de la part de la censure, frappé d’interdiction uniquement pour la raison que le tableau qu’il avait ébauché était peint de couleurs trop sombres. « Comment faut-il faire pour se réserver sa petite part de liberté ? Le censeur voit partout une insinuation, il suppose qu’au fond de chaque ouvrage se cache quelque trait mordant dirigé contre certains personnages ou contre le régime. En supprimant du livre les vices et les passages tristes, on s’imagine supprimer aussi pour le lecteur les vices réels et les côtés tristes de la vie. Non ! quand même un écrivain s’efforcerait de cacher systématiquement les tristes côtés de la vie, il n’y réussirait pas ; au contraire, il éveillerait chez le lecteur le soupçon qu’il n’est pas sincère, qu’il n’est pas juste. Est-il possible dépeindre exclusivement en couleurs claires ? Comment ferait-on ressortir la partie éclairée s’il n’y avait pas de fond sombre ? Peut-on imaginer un tableau où il n’y ait pas à la fois de la lumière et des ombres ?

« On m’accuse d’avoir lu la lettre — interdite en Russie — de Biélinsky à Gogol, dans laquelle le célèbre critique se révolte et s’indigne contre l’état intérieur en Russie. Oui, j’ai lu cette lettre ! mais celui qui m’a dénoncé pourrait-il dire duquel des deux correspondants j’ai pris le parti ? » Et Dostoïevsky ne rougit pas de dire que « la lettre de Biélinsky est écrite d’une façon trop bizarre pour mériter les sympathies de qui que ce soit. Elle est une affirmation sans preuves, défaut dont Biélinsky n’a jamais pu se défaire dans ses articles de critique et qui a augmenté à mesure que la maladie épuisait ses forces physiques et mentales. » Il a lu cette lettre chez Pétrachevsky comme un simple document littéraire, ni plus ni moins, avec « la ferme conviction qu’elle n’allait être du goût de personne. Pour ma