Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement de la vie et de la puissance intérieures en même temps que de l’attitude libre de l’homme vis-à-vis de ses semblables et de leurs lois. C’est au déploiement de la vie et de la puissance individuelles qu’il mesure la valeur de toutes choses.

M. Fouillée ne se pose pas seul l’embarrassante question de la distinction des faibles et des forts. Dans Crime et Châtiment, Zamétov, juge d’instruction, demande à Raskolnikov : « Comment peut-on distinguer ces hommes extraordinaires des hommes ordinaires ? Apportent-ils en naissant certains signes ? Je suis d’avis qu’il faudrait ici un peu plus de précision, une délimitation plus apparente en quelque sorte. Excusez cette inquiétude naturelle chez un homme pratique et bien intentionné ; mais ne pourraient-ils, par exemple, porter un vêtement particulier, un emblème quelconque ? Car, convenez-en, s’il se produit une confusion, si un individu d’une catégorie se figure qu’il appartient à l’autre et se met à « supprimer tous les obstacles », alors ? »

Suivant Uaskolnikov, l’erreur est possible seulement dans la première catégorie, c’est-à-dire chez ceux qu’il appelle « les hommes ordinaires ». Beaucoup d’entre eux, par suite d’un jeu de la nature, aiment à se prendre pour des hommes, d’avant-garde, pour des « destructeurs » ; ils se croient appelés à faire entendre « un mot nouveau », et cette illusion est très sincère chez eux. En même temps, ils ne remarquent pas d’ordinaire les véritables novateurs, ils les méprisent même comme des gens arriérés et sans élévation d’esprit. Mais, selon Raskolnikov, il ne peut y avoir là un sérieux danger, car ils ne vont « jamais bien loin ».

« Dites-moi, continue Zamétov, y a-t-il beaucoup de ces gens « extraordinaires » qui ont le droit de supprimer les obstacles ? Sans doute, je suis prêt à m’incliner devant