Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/446

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vent vouloir intérieurement, mais ils ne savent pas tra- duire leur désir par une action. A force de ne pas agir, ce désir même s’affaiblit chez eux et disparaît. Ceci s’explique par les particularités de la vie sociale en un pays qui, pendant une période de cent ans, n’a presque pas éprouvé, comme les autres pays, le changement qui accompagne toute vitalité. Les mœurs décrites dans Guerre et Paix, qui se rapportent au commencement du xix e siècle, sont très peu distantes de celles de Résurrection, c’est-à- dire delà fin du même siècle. Le mouvement social est nul. La volonté individuelle n’a pas de champ pour son déve- loppement, pour son activité. iNotre volonté ne se dépense pas seulement dans le détail de nos actes personnels, elle règle notre vie entière, lui donne son allure propre, elle domine la chaîne de toutes les manifestations individuelles et sociales. Notre volonté n’est que le résultat d’une lente succession d’acquisitions associées, synthétisées par un travail continu. Elle est faite d’une sorte de stratification de toutes les impressions per- çues au cours de notre existence, elle s’accroît lentement de toute notre expérience. Elle est d’autant plus riche qu’elle contient davantage de souvenirs, d’exemples. Plus elle est en contact avec l’extérieur, plus elle se réveille promptement. Son rôle sera d’autant plus fréquent et d’au- tant plus accentué que le champ de son activité sera plus riche. La volonté doit rester ouverte à toutes les sollicita- tions, elle ne peut s’isoler, se soustraire aux exigences de la vie et de l’action, sous peine de s’atrophier. L’absence des manifestations de notre volonté amène la réduction progressive de nos tendances, de nos désirs, de nos actes ; elle engendre des phénomènes morbides, qui abondent dans le Roman russe. L’inertie dans laquelle il est obligé de vivre nous explique parfaitement l’absence chez le Russe de résolution, de volonté, d’énergie. Toute lutte est accom-