Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/148

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pour provoquer précisément des sentiments de sympathie ou d’antipathie. On a vu, par l’exemple des slaves austro-hongrois, ce que peut sur un peuple, où la résistance n’est pas organisée, l’appel guerrier du souverain, la discipline de fer et la hiérarchie indiscutée de l’armée, le drapeau national déployé, le vertige guerrier, tout ce qui, à ces heures historiques, fait oublier les sentiments personnels pour laisser libre cours au torrent de passion. Ainsi, tantôt les sentiments donnent lieu à des idées, et tantôt les idées se transforment en sentiments. La liberté, l’égalité, la fraternité sont des idées, de véritables principes de l’organisation de la vie sociale. Ce sont aussi des sentiments chez les nations longuement opprimées. Le sentiment de la liberté persiste dans les masses, alors que l’idée claire en peut avoir disparu. Et ce sentiment provoque les idées au jour des occasions favorables pour reconquérir l’indépendance perdue. (Exemple : Les Polonais après plus d’un siècle.) Les plus grandes forces sociales sont les idées-sentiments.

3. Parmi les causes de guerre et de luttes internationales la haine occupe un rang particulier. Elle consiste en un sentiment tandis que les autres causes consistent en des intérêts. On concilie des intérêts parce qu’ils se raisonnent, mais peut-on concilier des sentiments s’ils sont spontanés et irréfléchis ? Haïr c’est détester quelqu’un, lui vouloir du mal, songer à la vengeance. C’est éprouver de l’aversion, du ressentiment de l’horreur même, et celle-ci implique quelque chose d’affreux et de terrible. Il y a des degrés dans la haine, et celle-ci peut-être individuelle et collective. Entre peuples, haïr c’est vouloir la destruction totale de l’adversaire. Les caractères de la haine peuvent être définis ainsi : a) La haine est un sentiment naturel chez l’homme. Elle est mise en jeu par un réflexe émotif élémentaire. Il y a de la haine chez les primitifs qui appliquent la loi du talion : dent pour dent, œil pour œil. b) La haine n’est pas un sentiment universel chez l’homme. Le civilisé éduque tous ses sentiments, cherche ainsi à se rendre maître de ses sentiments haineux. Aux réflexes il oppose l’inhibition volontaire. Beaucoup de cœurs d’ailleurs ne connaissent jamais la haine. c) La haine n’est pas un sentiment nécessaire à la défense collective, pas même en temps de guerre. Une enquête dans la masse des combattants, en ces temps-ci, montre bien que l’attaque et la défense peuvent être violentes, continues, exaspérées même, sans nécessairement s’accompagner de haine ni d’expressions de haine à l’adresse de l’ennemi[1]. d) Il faut distinguer dans la haine. Haïr un

  1. « En des circonstances anormales comme celles-ci, dit-on dans la presse allemande, la haine est une vertu supérieure. Qui aime sa patrie a pour devoir de haïr ceux qui ont juré sa perte ; si aujourd’hui il est sans haine c’est qu’il n’aimait pas hier sa patrie. Les mots creux de réconciliation et de fraternité universelle sont de simples pavillons pour tromper les imbéciles. (« Rheinische Westfälische