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OVIDE

Heureux qui peut défendre un objet adoré,
Croire sa belle sur parole !
Il est de bronze, et suit une pente trop folle,
Le jaloux de sang altéré.
Mais, feignant de dormir, quand tu me croyais ivre,
J’ai vu vos forfaits de mes yeux :
J’ai vu de vos sourcils vibrer les arcs fiévreux ;
Vos deux fronts parlaient comme un livre.
Ton œil parlait aussi : sur la table, le vin
Traçait des mots aidés du geste.
Malgré tous vos efforts, j’ai lu leur sens funeste ;
J’ai tout compris, nier est vain.

Déjà s’étaient levés la plupart des convives ;
Restaient deux enfants assoupis :
Je vous vis échanger, lors, des baisers hardis,
En croisant vos langues furtives ;
Non ces baisers que donne un bon frère à sa sœur,
Mais ceux que darde une Ariane ;
Non les chastes baisers d’Apollon à Diane,
Mais ceux dont Mars fut ravisseur.
Je criai : « Que fais-tu ? Ma joie, à qui va-t-elle ?
Sur mes droits j’étendrai mes mains.
Tu n’appartiens qu’à moi, je t’appartiens, cruelle ;
Pourquoi ce tiers dans nos terrains ? »
En ces mots s’exhala mon dépit : son visage
Par la honte fut coloré.
Ainsi rougit l’Aurore, en son char empourpré,