Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/38

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lui le fils et que celui-là est son propre père et que cela fait un monstrueux renversement du respect filial, en faisant appel, au contraire, à des puissances intérieures, aux puissances intérieures communes, précisément aux puissances intérieures qui lui sont communes avec son père, communes de la plus profonde communauté, puisqu’il a reçu ces puissances intérieures de son père par la voie de la génération, et ce sont elles qu’il retourne contre lui, par une trahison monstrueuse, sans effort pourtant, sans mauvaise volonté, sans intention, sans volonté peut-être même, puisqu’il suffit qu’il agisse par une simple manifestation des puissances communes intérieures. Et c’est ce qui fait cette action, cette réaction monstrueuse si redoutable, qu’on sent qu’elle n’est point voulue, qu’elle n’a pas besoin d’être voulue. Qu’elle n’a qu’à paraître pour triompher. Il y a vraiment là, de l’ancien au moderne, un retournement, tout un renversement du sens où cheminent les responsabilités. Ce n’est plus le sang des pères, le sang versé par les pères, qui retombe sur les enfants ; c’est proprement le sang des enfants, non versé, qui transmis dans les veines remonte à sa source, aux artères, originelles, et qui avoue, qui dénonce sa source, qui trahit le secret de sa source. Il ne s’agit plus d’être maudit et réprouvé dans ses enfants jusqu’à la troisième et jusqu’à la vingtième génération. Mais c’est la vingtième génération au contraire qui remonte et va porter jusque dans le sein de l’auteur cette contre-malédiction, cette réprobation remontante. Il y a vraiment là une contre-indication formelle du moderne à l’ancien. Quand un fils parle mal de ses père et mère, je suis blessé dans mes sentiments