Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/39

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les plus profonds, j’ai l’impression d’une impudeur, peut-être la plus grave de toutes, et d’une indécence ; mais moderne je l’en crois : car ils sont coupables, d’avoir eu ce fils, qui dit cela. C’est toujours une mauvaise note, pour une maison, que d’être divisée contre elle-même, et que de recevoir perpétuellement des démentis intérieurs. Mais nulle note n’est aussi mauvaise que pour un père d’avoir introduit dans le monde sa propre condamnation, elle-même intérieure. Car si une maison divisée contre elle-même périra, que sera-ce de cette division à distance qui anime contre un auteur aboli des descendances de tares et des survivances de responsabilités, qui anime contre un auteur, à l’heure même où il ne peut plus se défendre et protester, des protestations dès lors indiscutables et qui jamais plus ne seront discutées.

Il y a là un phénomène moral troublant du même ordre que le phénomène moral si connu et pour ainsi dire parallèle à ce phénomène moral si connu, sur lequel nous ne pouvons pas nous arrêter aujourd’hui, par lequel un bienfaiteur est toujours, en un sens profond, responsable d’une ingratitude consécutive. Comme il a fait le bienfait, il a fait l’ingratitude aussi, dedans le bienfait ; il a fait un bienfait véreux, déjà tout rongé en dedans du ver d’ingratitude, au moment originaire même, au moment où il naissait bienfait. Et, à dire vrai, la responsabilité de l’ingratitude ultérieure n’est elle-même qu’un cas particulier de cette sorte de responsabilité générale que nous avons rencontrée sur notre chemin, car le bienfaiteur, l’auteur d’un bienfait, est aussi, est en cela même l’auteur de celui qui reçoit le