Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/49

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l’homme beaucoup plus profondément ; les autres ne redoutent rien tant que de devenir hommes de parti, si ce n’est ce qu’ils redoutent beaucoup plus encore, ce qu’ils redoutent le plus : de devenir chefs de parti.

Or il est malheureusement certain que Renan appartenait à la première sorte ; la cérémonie de l’inauguration du monument de Renan à Tréguier, accomplie essentiellement comme une fête de parti, comme une cérémonie gouvernementale, n’a fait, en ce sens, que traduire, comme un couronnement de fait, comme un aboutissement suprême extérieur, en un langage particulièrement grossier, une tendance, un esprit originel intérieur invincible. Renan était profondément un homme de parti et ne demandait qu’à devenir un chef de parti, de parti intellectuel et peut-être bien, Dieu aidant, de parti politique, — on n’a pas oublié sa candidature libérale indépendante sous l’Empire, en mai-juin 1869, dans une certaine circonscription de Seine-et-Marne, je crois que c’est dans la circonscription où il y avait Lagny, — et l’on ne sait jamais jusqu’où les hommes de ce temps et de cette génération, les intellectuels d’avant le mot, les fondateurs et les pères intellectuels, après et pendant les exemples retentissants de Lamartine et de Hugo, de tant d’autres, étaient ambitieux, convoiteux non pas tant peut-être de la puissance et de la domination que de la gloire politique, — ou plutôt il était d’autant plus volontiers un homme de parti que c’est le bon moyen pour devenir ce qu’il ne demandait qu’à être : un chef de parti : voilà ce qu’il ne faut jamais oublier quand on aborde l’Avenir de la Science : que ce livre est un livre de parti, un livre d’homme de parti, et, sourdement, un livre d’homme de