Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/23

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fétide » des Bourbons ou la bassesse des généraux de l’Empire faisant assaut de platitude et empochant à l’envi les humiliations dans les salons de la Restauration[1] ; ou jusqu’au mépris « silencieux » qui remplace chez un Benjamin Constant la première surprise et la première indignation à la vue des hypocrisies et des petitesses de la société. Ce mépris revêt aussi bien des formes, depuis l’apostrophe célèbre de Julien Sorel : « Canaille ! Canaille ! Canaille ! » jusqu’à la réflexion de Stendhal : « Toute situation sociale acquise suppose un amoncellement inimaginable de bassesses et de canailleries sans nom », ou jusqu’à cette expression du dégoût intense du même Stendhal devant la platitude d’un milieu bourgeois ; « Si l’on veut me permettre une image aussi dégoûtante que ma sensation, c’est comme l’odeur des huîtres pour un homme qui a eu une effroyable indigestion d’huîtres[2]. » Avec l’expérience de la vie, cette exaspération du dégoût cède, et l’on en arrive à un mépris souriant. « J’étais fou alors, écrit plus tard Stendhal ; mon horreur pour le vil allait jusqu’à la passion au lieu de m’en amuser, comme je le fais aujourd’hui des actions de la cour…[3]. » Cette attitude moqueuse et souriante est aussi celle de Mme de Charrière, l’amie de Benjamin Constant : « Toutes les opinions de Mme de Charrière reposaient sur le mépris de toutes les convenances et de tous les usages. Nous nous

  1. Souvenirs d’égotisme, p. 71.
  2. Vie de Henri Brulard, p. 98.
  3. Souvenirs d’égotisme, p. 32.