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LA SENSIBILITÉ INDIVIDUALISTE.

moquions à qui mieux mieux de tous ceux que nous voyions : nous nous enivrions de nos plaisanteries et de notre mépris de l’espèce humaine…[1]. »

La forme la plus modérée et la plus fréquente du mépris individualiste est l’indifférence au jugement des hommes. C’est le sperne te sperni. Stendhal regarde ce sentiment comme une primordiale condition de bonheur et d’indépendance. « Je n’aurai rien fait pour mon bonheur particulier, tant que je ne serai pas accoutumé à souffrir d’être mal dans une âme, comme dit Pascal. Creuser cette grande pensée, fruit de Tracy[2]. »

Dédaigneux de l’opinion en général, l’individualiste honore d’un mépris spécial l’opinion de certains groupes qui le touchent de plus près, qu’il connaît bien et dont il a pénétré à fond les petitesses, les hypocrisies et les mots d’ordre.

Le mépris de l’individualiste pour les groupes s’oppose au mépris des groupes pour le non-conformiste, pour l’indépendant, l’irrégulier, pour celui qui vit en marge de son monde. Le mépris des groupes est un mépris grégaire dispensé selon les préjugés, selon ce qu’on croit exigé par l’intérêt ou le bon renom du corps, ou ce qu’on fait semblant de croire tel. Le mépris de groupe est un mépris rancunier, vindicatif, qui ne lâche jamais son homme, car, comme on l’a dit avec justesse, « les individus pardonnent quelquefois, les groupes jamais. » Le

  1. Benjamin Constant, le Cahier Rouge, p.44.
  2. Stendhal, Journal, p. 113.