Page:Paquin - Le lutteur, 1927.djvu/45

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Il ne lui répondit pas, ne la regarda même pas, et continua du même pas mesuré et lourd.

Il introduisit la clef dans la serrure, ouvrit la porte, s’assit sur une chaise, et demeura, une grosse heure durant, dans la même position immobile et fixe.

…Puis il éclata de rire… C’était un rire, nerveux, strident… un rire qui glaçait. Il se leva et se trouva devant la glace de sa commode qui lui renvoya son image. Elle lui fit peur.

Il lui décocha un coup de poing formidable. La glace vola en éclat. Il en eut le poing meurtri, ensanglanté.

Des pas, dans le passage, se firent entendre.

— Monsieur Duval… Monsieur Duval…

— Qu’est-ce que vous me voulez, Madame Gendron ?

— Mon Dieu ! Monsieur Duval… Mais qu’avez-vous donc ?

— Fichez-moi la paix !… Votre commode je la paierai… Je tiens à être seul… je n’ai besoin de la sympathie de personne.… Allez vous-en… que je vous dis !

Il referma la porte violemment, se jeta sur son lit, mordit ses oreillers de rage.

Les sanglots lui montaient à la gorge et l’étouffaient.

Tout à coup, il se sentit seul. Un grand vide était en lui, autour de lui, partout.

Les larmes coulèrent sur ses joues. La douleur tordait ses traits en une grimace.

Il souffrait sans pouvoir localiser sa souffrance ! Il se mordit les lèvres jusqu’au sang… refoula ses larmes qui, pourtant, l’avaient soulagé.

Son orgueil criait… son pauvre orgueil humilié… Il s’en voulut à lui-même d’avoir pleuré… « Elle me le paiera ! Elle me le paiera ! »

Il s’apaisa. Une tristesse intense l’envahit, et, c’était son cœur maintenant qui lui faisait mal… Il y avait là, dans sa poitrine, quelque chose qui rongeait, dévorait, consumait… Son cœur pleurait !…

Il se surprit à murmurer : Ah ! comme je l’aimais ! Et sa chair à son tour, toute sa chair, cria de désespérance.

Jamais plus ! Il la trouvait désirable, plus désirable que jamais ! Il la portait en lui ; il avait faim et soif d’elle. Il avait la hantise de ses caresses. Il la voulait, à lui, rien qu’à lui ! Jamais plus il ne connaîtra la saveur de ses baisers…

À songer à l’inconnu du lendemain, il fut saisi d’une rage folle… Il serra les poings… ses ongles pénétraient dans les paumes qu’ils faisaient saigner… et, pour faire diversion, comme un enfant qu’affole un mal de dents, il se mordit le bras, riant de cette douleur physique.

L’accalmie se produisit… Il s’étendit sur le lit… et comme si son aventure fut celle d’un autre, il l’étudia, il l’analysa. Il avait pris le dessus… Il était sauvé. La crise, la grande crise qu’il redoutait et qui aurait pu le conduire à la folie et au meurtre était passée… Il en était sortit victorieux.

Ayant recouvré tout son calme, il reconstitua les événements qui avaient amené ce dénouement inespéré… Aidé des bribes de conversations et de lettres qu’il possédait, il se l’imagina.

Les absents ont toujours tort. Il avait eu tort de partir pour un si long temps. Ignorant de la vie, il croyait à la constance chez la femme, à la pérennité de son amour.

À ce propos lui revint à l’esprit la confidence d’un de ses compagnons de peine, à bord du navire.

C’était un homme instruit, intelligent. La trahison de sa fiancée en avait fait un raté. Depuis un an ce jeune homme fréquentait une personne adorable. Il venait de la fiancer avec entente qu’ils se marieraient dans deux mois. La jeune fille fit un voyage de trois semaines aux États-Unis chez l’une de ses compagnes de couvent, y rencontra un jeune américain, s’en éprit et ne voulut jamais revoir son fiancé. Il est vrai qu’elle repoussa les avances de sa dernière conquête quand celui-ci fit le voyage à Québec, dans la seule intention de la revoir.

— « Je ne suis donc pas le seul ! pensa Duval en se remémorant cette confidence. Ah ! les v… ! grommela-t-il.

Il se rappela certain passage d’une lettre de Germaine où elle lui confiait avoir connu à Montréal un fils de millionnaire et qui s’intéressait à elle. Partant de ce point de départ il procéda par déductions et en arriva finalement à la solution réelle.

Fidèle d’abord à l’aimé absent, elle s’était, peu à peu laissé circonvenir par son milieu. Elle avait établi les différences entre ses manières encore frustres de villageois mal dégrossi, et les manières délicates et polies des jeunes citadins qu’elle fréquentait. Elle regretta d’avoir presqu’engagé sa parole… mais ils étaient si jeunes. Et puis, il comprendrait facilement que les relations entre