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LE ROMAN DU COMTE DE TOULOUSE.


    l’impératrice, la certitude de son innocence ; il s’offre, seul (ayant été, ajouterai-je, abandonné par son compagnon), à combattre les deux calomniateurs l’un après l’autre, et tue le premier, sur quoi le second avoue son crime ; pendant que l’impératrice est ramenée en grande joie au palais le comte se dérobe et retourne dans son pays ; mais plus tard son nom est connu, et il reçoit d’éclatants témoignages de la reconnaissance de l’empereur et de l’impératrice. — Dans la légende de Gunhild, il ne s’agit que d’un accusateur ; le libérateur est un serviteur de l’impératrice amené par elle de son pays, dont la petite taille ou la jeunesse contrastent avec la haute stature et la force éprouvée de son adversaire ; il ne cache nullement son identité et ne se retire pas après le combat. « La ressemblance entre les narrations germaniques et romanes, conclut M. Lüdtke (p. 166), se réduit aux données les plus générales : la calomnie dirigée contre une femme innocente et sa délivrance de la mort. Elles ont sans doute fourni le thème de compositions poétiques dans tous les temps et chez tous les peuples, et continueront le faire tant qu’il y aura des hommes sur terre, tant que l’innocence sera persécutée et trouvera un défenseur. »

    Cette conclusion n’est pas sans laisser dans l’esprit du lecteur quelque doute sur la base historique que l’auteur assigne à une de ces compositions poétiques : n’est-elle pas, comme la légende de Gunhild, une simple variante du thème qui est présenté comme appartenant, pour ainsi dire, au matériel immuable, bien que toujours renouvelé, du folklore universel ? C’est bien l’opinion que Child, après avoir lu les travaux de Wolf, de Grandtvig, de M. Rajna et de M. Lüdtke, semble considérer comme la plus probable : « Dans tous ces contes, dit-il (t. II, p. 43), il n’y a rien ou presque rien qui puisse être regardé comme historique, et il y a beaucoup de choses qui sont en contradiction directe avec l’histoire. Mettant l’histoire hors de cause, celui qui voudrait essayer de retrouver l’ordre de développement [des divers contes] n’aurait pas pour sa construction une base plus solide que l’air. Même si l’on juge l’invention humaine si pauvre qu’il faille nécessairement admettre une source unique pour des histoires si nombreuses et si différentes dans le détail, une simple exposition du sujet, avec des groupements secondaires, semble être tout ce que, présentement, on peut essayer avec quelque sécurité. »

    Au risque d’être accusé de témérité, je dirai qu’il me semble qu’on peut aller un peu plus loin et essayer non seulement d’esquisser les relations des formes diverses de notre histoire, mais encore de leur trouver une base, ou plutôt une double base dans l’histoire. Je me rattache aux résultats obtenus indépendamment par M. Rajna et M. Lüdtke, en tâchant de les combiner comme je l’ai indiqué plus haut (pp. 19-20).

    Je ferai d’abord remarquer qu’il faut écarter deux groupes de récits qui n’ont avec notre thème qu’un rapport tout extérieur. Ce qui caractérise ce thème, c’est que l’épouse injustement accusée est sauvée par le moyen d’un combat judiciaire. Dans le groupe de Crescentia, il n’y a rien de pareil : l’héroïne est vraiment expulsée, et elle ne se réconcilie avec son mari que beaucoup plus tard, après des aventures extraordinaires et à la suite