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LE ROMAN DU COMTE DE TOULOUSE.


    Carellus l’avait délivrée et vengée de son redoutable calomniateur. J’ai exprimé plus haut l’idée que le roman du Comte de Toulouse, dont la première forme peut être encore du ixe siècle, a été influencé par ce poème. Ce roman se rattache à l’histoire réelle de Bernard et de Judith par des liens qu’il est presque impossible de ne pas reconnaître : le nom de Bernard, sa qualité de comte de Toulouse et de Barcelone, son hostilité avec l’empereur au moment des événements, la qualité d’impératrice de l’héroïne, le nombre des accusateurs, l’arrivée de Bernard à Aix-la-Chapelle du fond de son domaine et son retour dans ce domaine après le combat, sa réconciliation finale avec l’empereur. Quelques traits qui sont propres au roman peuvent avoir aussi, sans que nous le sachions, leur raison d’être dans la réalité : ainsi l’épisode de la confession (qui, du reste, rappelle la justification publique de Judith) et le fait que le héros offre de combattre seul deux adversaires. Mais il est très possible que la substitution même d’un combat judiciaire effectif à la simple offre faite par Bernard ait été suggérée par le poème de Gundeberge. — Une fois créé, le thème du Comte de Toulouse continua à se développer. Dans le groupe II, il s’adjoignit l’amour du comte pour l’impératrice, qui est sans doute (bien qu’il se trouve avoir peut-être une base réelle) une simple addition du remanieur ; mais, en outre, ce même remanieur donna pour cause à la calomnie la passion criminelle des accusateurs, il supposa qu’ils étaient chargés de la garde de l’impératrice en l’absence de son époux, et il leur fit motiver leur accusation par le stratagème infâme du prétendu amant introduit dans le lit de l’impératrice. Ces deux derniers traits paraissent empruntés l’un au cycle Crescentia, l’autre au cycle Octavien ; mais il est très possible qu’ils se trouvassent déjà dans le poème de Gundeberge. Quant à l’idée d’expliquer par un amour rebuté la conduite des calomniateurs, elle est à la fois dans Gundeberge et dans le cycle Crescentia ; mais elle est si naturelle qu’elle aurait pu venir spontanément à l’auteur du roman français. Dans le groupe III, qui semble provenir d’une transmission orale et où les noms et qualités des deux héros se sont perdus, est ajouté le trait de l’appel envoyé par l’héroïne au héros et auquel il feint de ne pas se rendre, ainsi que celui de l’anneau donné dans la prison ; ce sont, sans doute, de pures inventions poétiques, dont la seconde au moins, cependant, ne manquait pas de modèles.

    Passons maintenant à la légende de Gunhild. Elle n’a aucune base historique quelconque. Gunhild, fille d’Emme de Normandie et de Canut, épousa à dix-huit ans, en 1036, Henri, fils de l’empereur Conrad, et mourut deux ans après sans avoir eu la moindre dissidence avec son jeune époux, lequel ne fut empereur qu’en 1039, un an après la mort de sa femme. Cependant, dès 1130 environ, Guillaume de Malmesbury raconte qu’après de longues années de mariage avec l’empereur Henri elle fut accusée d’adultère, et que, personne n’osant combattre son accusateur, homme de taille gigantesque, un enfant qu’elle avait amené avec elle d’Angleterre se présenta comme son champion et coupa les pieds du calomniateur, sur quoi elle fut proclamée innocente, mais renonça à la vie