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G. PARIS


    conjugale et entra dans un couvent. Guillaume n’a fait sûrement ici que résumer un poème anglais ; des sources postérieures nous apprennent que le champion (qui, d’après l’une de ces sources, était un vrai nain) s’appelait Mimecan et son adversaire Rodegan ou Roddyngar. Dans les ballades anglaises ou scandinaves nous retrouvons tous ces traits, ainsi que les noms, et nous y voyons, en outre, que le calomniateur, comme dans notre groupe II et le cycle Octavien, avait introduit un prétendu amant dans le lit de l’héroïne endormie. On peut être certain que ce trait aussi figurait dans le poème anglais dont l’existence est attestée dès le commencement du xiie siècle.

    Mais pourquoi ce poème attribuait-il à Gunhild une aventure aussi complètement opposée à la réalité de sa courte vie ? D’après Child, c’est parce qu’en devenant l’épouse du roi des Romains elle avait pris le nom de Cunigund, et que Cunigund, femme de l’empereur Henri II (1002–1024), ayant été accusée d’adultère, se justifia en marchant sur des fers rouges (ou en les portant dans ses mains) sans dommage, – ou encore parce que la même épreuve avait été subie avec le même succès par la propre mère de Gunhild, la reine Emme, ce qui faisait encore au xive siècle l’objet de chants anglais ou anglo-normands. Mais ces histoires, — plus ou moins authentiques (une toute pareille est attribuée à la femme de Charles le Gros, au ixe siècle), — n’ont que très peu de rapport avec celle de Gunhild ; il est possible qu’elles aient influencé quelques traits que nous trouvons dans les ballades modernes, mais elles ne suffisent nullement à expliquer qu’on ait attribué à Gunhild plutôt qu’à une autre l’histoire de Gundeberge.

    C’est bien, en effet, l’histoire de Gundeberge que nous retrouvons sous le nom de Gunhild : le trait qui très probablement la caractérisait, la petitesse du champion du droit opposée à la taille gigantesque du calomniateur, rend l’adaptation extrêmement vraisemblable, et nous avons vu que la ruse du calomniateur, qui figurait presque certainement dans l’histoire de Gunhild, pouvait fort bien se trouver dans celle de Gundeberge. Il est très possible aussi que Pitto ou Carellus fut, comme Mimecan, un jeune homme attaché au service propre de la souveraine. C’est sans doute la similitude des noms, commençant par la même syllabe Gun- (qui, dans l’anglo-saxon, équivaut à Gunde-), qui a fait mettre sur le compte de Gunhild l’aventure qu’un poème plus ancien, transporté de Langobardie ou de France en Angleterre, attribuait à Gundeberge. Il y a eu peut-être une autre raison encore : on pouvait connaître en Angleterre une forme ancienne, perdue pour nous, du roman du Comte de Toulouse, si voisin du poème de Gundeberge : là l’héroïne était une impératrice, et le poème anglais choisit la seule princesse anglaise qui, antérieurement à Mathild, épouse de Henri V (1114–1124), eût épousé, sinon un empereur, au moins un fils d’empereur, plus tard empereur lui-même.

    Voilà comment je me représente la succession et le rapport de nos trois groupes. À l’origine, peut-être, un vieux poème germanique, de pure invention, sur une reine injustement accusée d’adultère et victorieusement