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PREMIER FACTUM


troduire leurs opinions impies, ils sont aujourd’hui arrivés à vouloir chasser du ministère de l’Église ceux qui refusent d’y consentir.

Cette entreprise séditieuse et schismatique, par laquelle on essaye de jeter la division entre le peuple et ses pasteurs légitimes, en l’incitant à les fuir comme de faux pasteurs et des loups, par cette seule raison qu’ils s’opposent à une morale toute impure, est d’une telle importance dans l’Eglise, que nous ne pourrions plus y servir avec utilité, si cette insolence n’étoit réprimée. Car enfin il faudroit renoncer à nos charges et abandonner nos églises, si, au milieu de tous les tribunaux chrétiens rétablis pour maintenir en vigueur les règles évangéliques, il ne nous étoit permis, sans être diffamés comme des loups et de faux pasteurs, de dire à ceux que nous sommes obligés d’instruire, que c’est toujours un crime de calomnier son prochain ; qu’il est plus sûr, en conscience, de tendre l’autre joue après avoir reçu un soufflet, que de tuer celui qui s’enfuit après l’avoir donné ; que le duel est toujours un crime, et que c’est une fausseté horrible de dire que « c’est à la raison naturelle de discerner quand il est permis ou défendu de tuer son prochain. » Si nous n’avons la liberté de parler en cette sorte, sans qu’on voie incontinent paroître des livres soutenus publiquement par le corps des jésuites, qui nous traitent de factieux, d’ignorans et de faux pasteurs, il nous est impossible de gouverner fidèlement les troupeaux qui nous sont commis.

Il n'y a point de lieu, parmi les infidèles et les sauvages, où il ne soit permis de dire que la calomnie est un crime, et qu’il n’est pas permis de tuer son prochain pour la seule défense de son honneur ; il n’y a que les lieux où sont les jésuites, où l’on n’ose parler ainsi. Il faut permettre les calomnies, les homicides et la profanation des sacremens, ou s’exposer aux effets de leur vengeance. Cependant nous sommes ordonnés de Dieu pour porter ses commandemens à son peuple, et nous n’oserons lui obéir sans ressentir la fureur de ces casuistes de chair et de sang. En quel état sommes-nous donc réduits aujourd’hui ! Malheur sur nous, dit l’Ecriture, si nous n’évangélisons ! et malheur sur nous, disent ces hommes, si nous évangélisons ! La colère de Dieu nous menace d’une part, et l’audace de ces hommes de l’autre, et nous met dans la nécessité, ou de devenir en effet de faux pasteurs et des loups, ou d’être déchirés comme tels par trente mille bouches qui nous décrient.

C’est là le sujet de nos plaintes ; c’est ce qui nous oblige à demander justice pour nous et pour la morale chrétienne, dont la cause nous est commune, et à redoubler notre zèle pour la défendre, à mesure qu’on augmente les efforts pour l’opprimer. Elle nous devient d’autant plus chère, qu’elle est plus puissamment combattue, et que nous sommes plus seuls à la défendre ; et dans la joie que nous avons que Dieu daigne se servir de notre foiblesse pour y contribuer, nous osons lui dire, avec celui qui étoit selon son cœur : « Seigneur, il est temps que vous agissiez, ils ont dissipé votre loi ; c’est ce qui nous engage encore plus à aimer tous vos préceptes, et qui nous donne plus d’aversion pour toutes les voies de l’iniquité. »