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pas eu la moindre part à ce que nous sommes : comme si, forcé de se faire justice, il se fût anéanti lui-même à Sedan. Là, finit un monde. Nous sommes nés avec l’autre. Nous en avons été les mouvements sacrés dans le sein de la mère ; l’effort prodigieux à la vie, méconnu et contrarié ; la volonté nouvelle, l’illusion passionnée ; et la passion plus forte encore, quand l’illusion tombe, de fonder un ordre, de n’en rien proscrire et d’y faire tout entrer.

Les uns, plus près des faubourgs, ont semblé renouer naturellement en eux le fil des trois Républiques. Pour les autres, encore plus à même la terre, la République les a remis dans le plein sens de la nation, et jusqu’au moyen âge, à travers la Révolution et les fastes militaires de la France. Nous avons grandi avec la République ; nous avons conquis notre liberté avec elle, nos grades, nos combats et nos ennuis.

Faisant retour sur lui-même et sur sa vie, Péguy pense naturellement à la jeunesse de la République : c’est la sienne. Les moins politiques d’entre nous ont pris de la République le goût et l’habitude d’être libres. La République fait des maîtres, quand le peuple est noble. De la sorte, les vrais aristocrates se trouvent dans les Républiques, plutôt que dans les cours.

Jamais époque ne fut plus libre. L’extrême licence de l’esprit et l’audace des mœurs ont donné un caractère unique aux vingt dernières années du siècle et aux premières de celui-ci : la fin de la monarchie avait seule connu une égale douceur de vivre. Toute tolérance a paru nécessaire dans les mœurs et toute violence légitime dans les opinions. L’injure en tous sens a fait l’économie de trois guerres civiles. Ce