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temps a été plein d’esprit et de talent, sinon de génie. Avant la tempête, il fut le calme de la mer et la saison des céréales mûres. Ainsi la bonace a précédé la Grande Guerre, comme elle avait fait la Révolution. La République alors a eu son affaire du Collier, ses troubles de finances et ses orageux parlements. La liberté sans limites tournait à une sorte d’anarchie, bien nécessaire pour tempérer la tyrannie de la science et d’une logique médicale, appliquée à toutes les valeurs de la pensée et de la morale, sans choix, sans goût et sans raison supérieure.


Dès lors, les esprits libres ont été aux prises avec trois clergés et trois églises, qui vont assez souvent deux par deux : la Sorbonne des savants à balances, l’Église de Rome et l’Église de Marx, qui est celle des socialistes. Pour moi, je ne fus ni de deux ni de trois ; et je reste sans doute seul à n’être d’aucune.

Péguy, amoureux ennemi de la Sorbonne, avait été trop socialiste, pour n’être pas d’Église. Mais il était de sentiment si libre qu’il eût toujours été suspect d’hérésie, en quelque église que ce fût : et même, à la longue, dans la sienne. Il ne faut pas conter que Péguy fut solitaire : il vivait volontiers dans l’assemblée : il a eu un très grand nombre d’amis et de disciples, qui lui sont restés fidèles.

Je marque donc la passion d’être libre comme le premier trait de notre jeunesse. À ce temps, rien n’a manqué que l’appétit de la grandeur. Mais il brûlait insatiable en quelques-uns, avec l’idée la plus haute de la puissance. Cela suffit. L’appétit de la grandeur en quelques-uns témoigne pour l’instinct de la gran-