Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/376

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lignée de rois généralement criminels, charnellement criminels, criminellement charnels, incessamment recommençants criminels, contre qui, pour qui Dieu n’avait pas trop, s’il avait assez, de tous ses prophètes. On n’y fait généralement pas attention. Cette lignée, cette génération charnelle est si simple dans Matthieu, cette génération linéaire, si simplement exposée, si simplement comme déroulée, comme défilée, que dans cette série linéaire l’esprit ne s’arrête point à certains noms, à des noms près de qui on passe, à des noms par lesquels on passe. Et ce n’est point seulement. Ce n’est point seulement Eliacin (et Joad). Ce n’est point seulement Salomon et David. Ex ea quae fuit Uriae, l’honnête Matthieu ne nous le cache point.

Il faut l’avouer, la lignée charnelle de Jésus est effrayante. Peu d’hommes, d'autres hommes, ont peut-être eu autant d’ancêtres criminels, et si criminels. Particulièrement si charnellement criminels. C’est en partie ce qui donne au mystère de l’Incarnation tout son prix, toute sa profondeur, une reculée effrayante. Tout son emportement, tout son chargement d’humanité. De charnel. Au moins pour une part, et pour une grande part.

Il se place, le paysan Matthieu, si grossièrement véridique, au point d’origine, charnel, temporel, à Abraham, ce deuxième Adam, charnel, spirituel, d’élection. Partant de là il suit posément le temps, il descend posément, tranquillement le temps, il déroule, il dévide un fil, il constitue, il donne, il présente une lignée, une race, une série linéaire. Cette série aura deux temps : David, Abraham. Elle aura trois périodes,