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XXIV

LES ERREURS SANGLANTES

Dans un des passages du rapport fait par le lieutenant Sicre sur la mort de Varlin, il y a un mot terrible : « Tout le monde l’a reconnu sur son passage. » C’est ainsi que M. Sicre interprétait les cris de mort poussés autour d’un prisonnier. La foule s’amasse : le bruit se répand que l’homme que l’on emmène est Varlin. Cent voix hurlent : « À mort Varlin ! » — Et le lieutenant prend ces hurlements pour un certificat d’identité.

« Tout le monde a reconnu Varlin !… » Le lieutenant n’a pas une minute l’idée que parmi tous les passants qu’il a entendus crier, il n’y en avait peut-être pas un qui eût déjà aperçu Varlin une fois dans sa vie et fût en état de le reconnaître. On crie : « À mort Varlin ! » Cela suffit.

M. Sicre n’était pas le seul officier qui eût ces larges théories en matière de certificat d’identité ; il ne se trompa pas, lui, et c’est bien Varlin qu’il fusilla. Mais d’autres appliquèrent sa doctrine, et se trompèrent. J’ai déjà parlé des trois « Billioray » qui furent exécutés avant que le véritable fût jugé à Versailles. On connaît le nom d’un de ces malheureux : il s’appelait Constant : il était mercier au Gros-Caillou ; il ne ressemblait nullement au membre de la Commune. La foule criait : « À mort Billioray ! » Pourquoi ? Qui le saura jamais ? Qui devinera quel soupçon, quelle folie pouvait pousser dans un esprit surexcité ? Qui recherchera les vengeances qui trouvaient l’occasion bonne pour se satisfaire ?…