Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/201

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concert affreux de gémissements ou d’imprécations.

» — Qu’ont-ils donc à brailler de la sorte ? fit l’un de mes guides en s’adressant au gardien de la porte.

» — Des bêtises ! Ils disent qu’ils ont faim et demandent qu’on leur apporte à boire…

» Les verrous, cependant avaient été tirés et les cadenas ouverts. L’un des agents me prit au collet, et, me poussant brutalement dans l’entrebâillement de la porte :

» — Au tas ! cria-t-il.

» Sous cette brusque poussée, j’aurais pu tomber en avant ; une muraille humaine qui se dressait devant moi me retint : subitement une buée tiède et grasse s’abattit sur moi et envahit mon corps tout entier ; la respiration me manquait, je fermai les yeux, et instinctivement je cherchai un appui ; je sentais que j’allais m’évanouir.

» — Mettez-vous dans les rangs et avancez, citoyen, me dit à l’oreille une voix, vous serez mieux à l’autre bout.

» Peu à peu je me remis et commençai à me faire à l’obscurité de cette cave. Étroite et basse, en forme de long boyau, elle contenait alors près de deux cents hommes de tout âge et de toutes conditions : uniformes de fédérés, habits bourgeois, haillons déchirés, imprégnés de poudre, se coudoyaient ensemble. Un va-et-vient régulier et continu s’était établi dans cette masse affreusement resserrée, qui semblait obéir à une sorte de loi de gravitation.

» L’air et la lumière n’ayant accès dans ce sombre cachot que par une étroite ouverture, il avait été décidé que chacun à tour de rôle, emboîtant le pas à son voisin, viendrait y respirer un peu et s’y rafraîchir un instant : voilà pourquoi on m’avait dit de me mettre