Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/295

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verdure, alignés à perte de vue devant les monuments solennels de la ville monarchique, devaient être surpris de voir troubler leur solitude coutumière, et d’apercevoir à leurs pieds les deux espaliers de toilettes des Champs-Élysées. Toute la fleur des boulevards était là. On y reconnaissait le public des premières. Les solliciteurs venaient y faire un tour, en sortant du trottoir de la rue des Réservoirs où se distribuaient les places et où se sacraient les préfets. Il y avait foule comme un jour de courses.

Les prisonniers arrivaient gris de poussière, les vêtements déchirés, souillés par la terre sur laquelle on avait fait coucher la colonne, les cheveux en désordre, la figure tirée par la souffrance. Quels prisonniers ? Pour les deux tiers (chiffre des ordonnances de non-lieu), d’honnêtes habitants de Paris arrêtés par erreur. Et l’on disait : Quelles figures de brigands ! Tous les crimes se lisent dans leurs traits… Honnêtes gens qui les regardiez avec horreur, quel est celui d’entre vous qui aurait eu meilleure mine après les mêmes épreuves ?

Il y avait dans ces convois un singulier mélange. « Il s’y trouve fort peu de belligérants, dit le Soir du 26 mai, et en revanche bon nombre d’individus arrêtés dans les rues au moment où les soldats y entraient. Comme nous l’avons déjà dit, les hommes pris les armes à la main sont immédiatement passés par les armes. » Rien de plus bizarre que la composition de ces bataillons de captifs, où à côté de rares uniformes de gardes nationaux ou de pompiers, avec des malheureux et des malheureuses en haillons, on voyait des bourgeois arrêtés chez eux, dans leur costume de chambre, des femmes en toilettes élégantes, décolletées, avec des robes à queue, des enfants, même des nouveau-nés, car les journaux de Versailles parlent d’une prisonnière qui accoucha en