Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de l’horreur hébète d’une façon passagère à un tel degré, que le premier venu commet, avec une sorte d’entrain, des actes dont le récit l’aurait indigné dans un autre temps, et qui lui avaient paru jusqu’alors impossibles dans une société civilisée.

Les troupes se sont emparées du quartier Saint-Germain-des-Prés le mercredi matin. Pour comprendre l’explosion de joie provoquée par la vue des troupes il faut avoir fui les maisons en feu au milieu de terribles menaces ; il faut avoir vu les foules sortant des rues incendiées chercher un abri avec leur bagage ramassé à la hâte ; il faut avoir entendu la grêle continue des balles pétiller sur les murs, et le long sifflement des obus se prolonger dans les rues désertes.

Dans ce quartier où la Commune était haïe, sitôt que les pantalons rouges et les baïonnettes de l’armée brillaient dans les rues, les portes s’ouvraient, les gens sortaient de leurs cachettes, la foule emplissait la rue ; on fêtait les soldats, les officiers, c’était à qui leur offrirait à boire. Un ancien sous-officier de la flotte m’a raconté son arrivée au ministère des affaires étrangères. Les femmes du monde leur apportaient elles-mêmes, leur versaient le champagne, leur prodiguaient les caresses.

Une terreur nouvelle tempérait immédiatement ce sentiment de la délivrance. Ainsi, rue Jacob, au moment même de l’arrivée des troupes, un fédéré, presque un enfant, était saisi, fusillé, malgré les déchirantes supplications de sa mère. Partout, les premières exécutions avertissaient que les horreurs n’étaient pas finies. D’ailleurs, la réaction de la peur est terrible. Le trembleur rassuré est le plus féroce des hommes. À la cruauté de la peur se joignaient la peur nouvelle, qui commandait d’écarter les soupçons par de grandes démonstra-