Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/196

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d’une heure, ni prolongé l’existence de ceux qu’il aime ; tant qu’il sera ce qu’il est, un insecte rampant sur des tombeaux pour chercher le sien, et pour s’y coucher dans les ténèbres, quel est le railleur qui osera lui parler des progrès de son bonheur ? Ce mot n’est qu’une ironie de la langue appliquée à l’homme. Qu’est-ce qu’un bonheur qui se compte par jour et par semaine, et qui s’avance à chaque minute vers sa catastrophe finale, la mort ? Le progrès dans le bonheur pour un pareil être, c’est le progrès quotidien vers le sépulcre. »

Ainsi vous l’affirmez et vous le signez de votre nom, la douleur est la condition immuable de l’homme né du péché d’Adam. Quelque cri qu’il jette du fond de l’abîme, quelque secours qu’il demande à son intelligence, providence désormais impuissante de sa destinée, il prie en vain, il frappe en vain du poing son front à jamais maudit. Une implacable fatalité pèse sur lui comme une montagne, sans qu’il puisse un instant soulever ce poids de misère de l’épaisseur d’un fétu. Supplicié de la création, il vit en réalité sur le chevalet, le corps, et, à défaut du corps, l’esprit brisé par une impérissable torture. L’espérance même n’est qu’une souffrance de plus, la souffrance de l’ironie versée sur la plaie vive pour en irriter la sensation.

Certes j’ai pu à certain moment, et je pourrai encore écarter du débat ce mot bonheur, comme trop variable, trop incertain, pour que, de part et d’autre, on ait le