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ÉTUDES DE LITTÉRATURE ET DE MORALE

le mieux concilier avec nos traditions héréditaires les tendances du symbolisme vers une poésie moins pittoresque et moins oratoire que musicale ; et c’est assez faire son éloge, de dire que beaucoup de ses pièces nous donnent le sentiment de la perfection dans le je ne sais quoi d’inachevé, d’aérien, de fluide, qui est le caractère propre de l’art symboliste.

Mais si, dans la Cité des eaux, le poète ne fait guère que se répéter lui-même, le Mariage de minuit qui vient de paraître, est, je crois bien, le meilleur ouvrage du prosateur. Même après la Double maîtresse et le Bon plaisir, quelque charme et quelque grâce qu’ils puissent avoir, ce volume mérite une mention particulière, et M. de Régnier s’y montre un conteur vraiment exquis.

Un conteur, plutôt qu’un romancier. Pourquoi le nom de romancier me paraîtrait lui convenir beaucoup moins, c’est ce que j’expliquerai tout à l’heure. Mais on peut déjà s’en rendre compte par une brève analyse de l’ouvrage. Le Mariage de minuit est un de ces livres dont plusieurs pages ne suffiraient pas à résumer la matière, et dont quelques lignes résument le sujet.

Françoise de Cléré, jeune fille orpheline, vit chez une tante, madame Brignan, à laquelle ses complaisances amoureuses font parmi le monde une réputation suspecte ; et cette réputation de la tante, la nièce, si pure et si droite qu’elle soit, en subit la contagion. Françoise se résignerait peut-être à épouser M. de Hangsdorff, riche et vieux bonhomme, qui lui assurerait du moins une existence honorable ; mais les entremetteurs de ce mariage veulent lui imposer des conditions auxquelles répugne sa fierté. Un jour, elle