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ET DE MORALE CONTEMPORAINES

cœur humain. » Et, dans le septième Discours sur l’homme :

Certain législateur, dont la plume féconde
Fit tant de vains projets pour le bien de ce monde,
Et qui, depuis trente ans, écrit pour des ingrats,
Vient de créer un mot qui manque à Vaugelas.
Ce mot est bienfaisance. Il me plaît ; il rassemble,
Si le cœur en est cru, bien des vertus ensemble.
Petits grammairiens, grands précepteurs des sots,
Qui pesez la parole et mesurez les mots,
Pareille expression vous semble hasardée ;
Mais l’univers entier doit en chérir l’idée.


Comment peut-on nous dire, après cela, que Voltaire « n’atteint pas où commence la charité » ? Dans la même pièce, un vers, ou plutôt un hémistiche : Le juste est bienfaisant, contient en germe la conception de cette solidarité humaine en vertu de laquelle la bienfaisance n’est qu’une forme de la justice.

Ce qu’on peut reprocher à Voltaire, c’est d’avoir fait trop bon marché de la morale individuelle. « La vertu et le vice, déclare-t-il, sont ce qui est utile et nuisible à la société. » Et ailleurs : « Tout ce qui nous fait plaisir sans faire de tort à personne est très bon et très juste. » Il y a là matière à contestation. Et sans doute Voltaire a raison de dire que l’ermite ou l’anachorète qui se mortifie pour sauver son âme ne mérite pas le nom de vertueux. Mais, ne considérant l’homme qu’en tant que membre de la société, il semble par là même nier toute justice antérieure et supérieure à l’institution sociale, comme si, d’une part, il n’y aurait ni vertu ni vice pour celui qui, par exemple, vivrait dans une île déserte, ou comme si, de l’autre, certains vices, du moment où ils concourraient