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LIVRE VII, § LXVII.

LXVII

La nature ne t’a pas tellement confondu avec l’informe mélange des choses qu’il te soit interdit de t’isoler de tout le reste, et de rester maître d’accomplir tout ce qui te regarde ; car on peut fort bien devenir un homme divin[1] sans être même connu de qui que ce soit[2]. C’est là ce que tu ne dois jamais oublier ; et tu dois aussi te dire qu’il ne faut presque rien pour être heureux[3]. Ce n’est pas parce que tu désespères de devenir habile en dialectique ou dans les sciences naturelles[4], que tu dois renoncer à te montrer libre, modeste, dévoué à l’intérêt commun, et soumis à la volonté de Dieu[5].

    bien inutile de défendre Socrate, que d’ailleurs Marc-Aurèle ne peut pas soupçonner sérieusement.

  1. Un homme divin. Le mot est du texte même.
  2. Sans même être connu de qui que ce soit. Admirable maxime, dont il ne faudrait pas abuser en poussant trop loin le mépris de l’opinion. C’est une grande leçon de modestie et d’humilité.
  3. Presque rien pour être heureux. On sait de reste que l’idée du bonheur ne tient qu’une place très-secondaire dans toutes les théories du Stoïcisme.
  4. En dialectique et dans les sciences naturelles. Voir plus haut, liv. II, § 2, et aussi liv. V, § 5.
  5. Et soumis à la volonté de Dieu. C’est le point essentiel, pourvu que cette résignation ne dégénère pas en un quiétisme coupable. Mais, dans les doctrines de Marc-Aurèle, cet excès peut être évité par le dévouement à l’intérêt commun, qui est une cause suffisante d’activité.