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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

LXVIII

Il faut savoir, à l’abri de toute violence, conserver la paix la plus profonde de son cœur, quand bien même le genre humain tout entier nous poursuivrait de ses vaines clameurs, et que la dent des bêtes féroces[1] mettrait en pièces les membres de cette masse de chair dont nous sommes enveloppés. Qui peut, en effet, dans toutes ces conjonctures, empêcher l’âme de se maintenir en un calme absolu, d’abord si elle porte un jugement vrai sur les circonstances où elle se trouve, et ensuite, si elle sait user comme il convient de ces épreuves ? Alors, le Jugement dit[2] à l’Accident qui survient : — « Voilà ce que

  1. Le genre humain tout entier… la dent des bêtes féroces. Il est déjà assez difficile de braver l’opinion, même quand elle est inique ; mais braver les tortures et les supplices du corps est d’une difficulté presque insurmontable. Cependant ce n’est pas absolument impossible ; et le Stoïcisme ne demande à ses disciples après tout que le courage montré par les martyrs chrétiens, et par un assez grand nombre de héros de l’antiquité. La nature humaine y suffit donc dans ce qu’elle a de plus grand et de plus fort. Mais il n’y a qu’un long et constant exercice qui puisse ainsi tendre l’âme et la rendre capable de ces énergies, d’ailleurs fort rares, où elle a besoin de s’élever au-dessus d’elle-même.
  2. Le Jugement dit. Cette tournure est un peu étrange ; mais j’ai dû la reproduire fidèlement. Cette personnification du Jugement, de l’Accident, de l’Usage et de l’Épreuve, sent déjà la décadence du goût, qui prévaudra dans