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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

Que si tu as besoin, pour te rassurer le cœur, d’une réflexion toute spéciale, qui te rende plus accommodant envers la mort, tu n’as qu’à considérer ce que sont les choses dont tu vas te séparer enfin, et les spectacles dont moralement ton âme ne sera plus attristée. Ce n’est pas à dire le moins du monde qu’il faille combattre contre les hommes ; loin de là, il faut les aimer[1] et les supporter avec douceur. Seulement, il faut bien te dire que ce ne sont pas des gens partageant tes sentiments[2] que tu vas quitter ; car le seul motif qui pourrait nous rattacher à la vie[3] et nous y retenir, ce serait d’avoir le bonheur de s’y trouver avec des hommes qui auraient les mêmes pensées que nous. Mais, à cette heure, tu vois quelle anxiété te cause ce profond désaccord dans la vie commune, et tu vas jusqu’à t’écrier : « Ô mort, ne tarde plus à venir, de peur que je

    son enveloppe. Voir plus haut, liv. VII, § 14, une doctrine non moins spiritualiste.

  1. Il faut les aimer. C’est le précepte que Marc-Aurèle a vingt fois donné et qu’il a pratiqué lui-même durant toute sa vie ; ce qui est plus difficile et plus méritoire.
  2. Ce ne sont pas des gens partageant tes sentiments. Parce qu’en effet, des âmes telles que celle de Marc-Aurèle sont bien rares.
  3. Le seul motif qui pourrait nous rattacher à la vie. Un des motifs qui consolent le plus sérieusement Socrate de sa mort, c’est que, dans l’autre vie, il s’attend à trouver des hommes avec qui il pourra converser sans désaccord sur tous les sentiments qui l’animent. Voir le Phédon, pag. 198, traduction de M. V.