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Page:Pere De Smet.djvu/454

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panier vide. Il va jusqu’à se dépouiller, en faveur du P. Grassi, de sa modeste chapelle de voyage. « Sa joie, dit-il, me faisait oublier la privation que je m’imposais ».

Cette visite est la dernière que fera le P. De Smet aux chrétiens de l’Orégon. Si consolant que soit l’état des missions, il ne peut se défendre de sombres pressentiments. Chaque jour, l’invasion blanche pénètre plus avant ; l’eau-de-vie arrive par cargaisons ; en maint endroit, les Indiens ne peuvent résister à la violence et à l’immoralité des pionniers américains.[1] Bientôt, sans doute, les terres fertilisées par les missionnaires deviendront la proie des envahisseurs ; les chrétiens seront exterminés ou refoulés dans les arides défilés des montagnes. Le plus modéré des agents du gouvernement n’a-t-il pas écrit dans son rapport : « L’homme rouge doit disparaître à l’approche de l’homme blanc. La question est de savoir comment nous y prendre pour causer aux Indiens le moins de souffrances, et à nous le moins de frais possible ».[2]

Désormais, ces douloureuses perspectives vont déchirer l’âme du missionnaire. L’œuvre de sa vie semble vouée à une ruine prochaine. Mais, pour être malheureux, les Indiens n’en restent pas moins « les enfants de son cœur ».

L’héroïque dévouement qu’il leur témoignera jusqu’au bout fera voir quel prix il attache à leurs âmes. Cependant, l’automne s’avance ; il est temps de regagner Saint-Louis. Après une visite à Mgr Blanchet, le premier apôtre de la contrée, et aux Sœurs de Notre-

  1. « Il faut en être témoin pour le croire », dit le P. De Smet dans sa relation. — « N’était le désir de sauver des âmes, l’on s’enfuirait au plus vite de ce pays ». (Lettre du P. Vercruysse au P. Broeckaert. — Saint-Ignace, 12 juin 1862).
  2. Rapport du capitaine Mullan. Cf. De Smet, Lettres choisies, 3e série, p. 169.