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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/435

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Elle l’avait par la main pris,
Dessur un lit étaient assis ;
De plusieurs choses ont parlé.
Beaucoup l’a-t-elle regardé,
Son air, son corps et son visage.
Se dit : « Rien n’a que d’avenant. »
Fortement le prise en son cœur.
Amour lance en elle son trait,
Qui lui conseille de l’aimer,
Pâlir la fit et soupirer.
Mais ne voulut son penser dire,
Craignant qu’il n’en conçût mépris.
Longtemps près d’elle demeura,
Puis prit congé et s’en alla :
Contre son gré le lui donna.
A son logis s’en est allé.
Il est tout morne et tout pensif,
A son cœur troublé par la belle,
La fille du roi son seigneur,
Qui si doucement l’appela
Et de ce qu’elle soupira.
Il se prenait à regretter
D’être resté dans le pays
Sans plus souvent ne l’avoir vue.
Quand l’eut pensé, il se repent :
De sa femme lui ressouvint,
Comment en partant l’assura
Que bonne foi lui garderait
Et loyaument se maintiendrait.

Cependant la jeune fille brûle du désir de faire d’Eliduc son ami, son « dru », et de le retenir près d’elle. Elle ne put dormir de la nuit. Levée de grand matin, elle va à une fenêtre, appelle son chambellan et lui montre tout son être : « Me voici, dit-elle, en mauvais cas ! »

J’aime le nouveau soudoyer,
Eliduc, le bon chevalier ;
Ne pus la nuit trouver repos
Ni pour dormir clore les yeux.
Si par amour me veut aimer,
De sa personne m’assurer,
Je ferai bien tout son plaisir :
Lui en peut de grands bien venir,
De cette terre sera roi.
Il est si sage et si courtois,
Que, s’il ne m’aime par amour,
Mourir me faut à grand douleur ! »

Le chambellan lui donne un conseil « loyal », c’est d’envoyer à Eliduc une ceinture ou un anneau : s’il reçoit le don avec joie, elle sera sûre de son amour. « D’ailleurs, ajoute-t-il, il n’y a pas, sous le ciel, d’empereur, si vous vouliez l’aimer, qui n’en dût être ravi. » La demoiselle répond :

 « Comment par mon présent saurai-je
S’il est à m’aimer disposé ?
Je ne vis jamais chevalier
Qui se fit pour cela prier,
Et qui ne retint volontiers
Le présent qu’on lui envoyât,
Soit qu’il aimât, soit qu’il haït.
Ne voudrais de moi se jouât.
Cependant par l’air et la mine
Peut-on deviner sa pensée.
Préparez-vous et allez-y.
— Je suis, fait-il, tout préparé.
— Un anneau d’or lui porterez,
Ma ceinture lui donnerez !
Mille fois le me salûrez !
 »

Le chambellan part ; peu s’en faut qu’elle ne le rappelle, et cependant elle le laisse aller, et commence à se lamenter :