Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/436

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« Hélas ! Comme est mon cœur dompté
Par un homme d’autre pays !
Ne sais s’il est de haute gent !
Il partira hâtivement,
Je resterai comme dolente.
Mon amour follement plaçai !
Jamais ne lui parlai qu’hier
Et je le fais d’amour prier !
Je pense qu’il me blâmera ;
S’il est courtois, gré me saura.
Le tout est mis à l’aventure !
Et s’il n’a de mon amour cure,
Jamais n’aurai joie en ma vie. »

Pendant ce temps, le chambellan remplit sa mission. Eliduc le remercie, met l’anneau d’or à son doigt, et la ceinture autour de sa taille, mais ne lui pose aucune question. Le chambellan retourne vers Guilliadon, qu’il trouve dans sa chambre ; il la salue et la remercie de la part d’Eliduc, mais elle le presse :

« Dis, va, fait-elle, et rien ne cache,
Veut-il bien par amour m’aimer ? »
Il lui répond : « Ce m’est avis.
De votre part le saluai
Et vos cadeaux lui présentai.
Se ceignit de votre ceinture
Et l’annelet mit à son doigt.
Ne lui dis plus, ni lui à moi.
— Le prit-il en signe d’amour ?
Si n’est ainsi, malheur à moi ! »
Il lui a dit : « Ma foi, ne sais.
S’il ne vous eût voulu grand bien,
Il n’eût de vous rien voulu prendre. »
Elle répond : « C’est se moquer !
Je sais bien qu’il ne me hait pas.
Jamais ne lui fis autre tort
Que de l’aimer moult durement.
Si pour cela me veut haïr,
Il serait digne de mourir.
Jamais par toi ni par autrui,
Avant que puisse lui parler,
Ne lui voudrai rien demander.
Moi-même je lui veux montrer
Comment pour lui l’amour m’étreint.
Mais ne sais s’il doit demeurer. »
Le chambellan a répondu :
« Dame, le roi l’a retenu
Jusqu’à un an, avec serment
Qu’il le servira loyaument.
Pourrez avoir tout le loisir
De lui montrer ce qui vous plait. »
Quand elle ouït qu’il demeurait,
Moult durement s’en éjouit.
Ne savait rien de la douleur
Qu’il menait depuis qu’il la vit.

Cette habile transition nous ramène à Eliduc. Il n’avait, dit le poète, d’autre joie que de penser à elle. Mais d’autre part il se désole à la pensée qu’il a promis à sa femme de n’aimer qu’elle pendant son absence. Il voulait garder sa loyauté, mais il ne peut douter qu’il n’aime Guilliadon. Il souhaite de la voir, de lui parler, de « la baiser et accoler ». Mais il ne peut la prier d’amour sans se déshonorer, tant à cause du serment fait à sa femme que de sa situation vis-à-vis du roi son seigneur. Il ne peut cependant résister au désir de la revoir. Il se rend près du roi, avec l’espoir qu’il aura l’occasion de rencontrer sa fille. Précisément le roi se trouvait dans l’appartement de sa fille, en train de jouer aux échecs. Le roi fait à Eliduc le meilleur