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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/455

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souvent à une période assez restreinte de la vie du héros ; ils n’ont pas l’ampleur des grandes compilations dont il sera question plus loin.

Le Chevalier de la charrette. — Vers la même époque que le Chevalier au lion, Chrétien écrivait pour la comtesse Marie de Champagne le Chevalier de la charette[1], que nous allons analyser, en insistant particulièrement sur l’épisode capital des amours de Lancelot et de Guenièvre.

Arthur tenait sa cour solennelle, un jour d’Ascension, lorsqu’arrive un chevalier insolent, qui rappelle qu’il a déjà fait prisonniers un bon nombre de chevaliers et de dames de la terre d’Arthur ; il défie le roi en lui proposant de confier la reine à un seul chevalier, qui la mènera dans le bois voisin, et qui s’y battra avec lui : si ce champion sort vainqueur du combat, les prisonniers seront rendus. Sinon, la reine ira rejoindre les captifs.

Le sénéchal Keu use d’un artifice pour être chargé de la périlleuse mission : il feint de vouloir quitter le service d’Arthur, puis consent à rester à la condition qu’on lui promette de lui accorder ce qu’il voudra demander ; il obtient cette promesse, et demande aussitôt à emmener la reine dans le bois pour la défendre contre l’inconnu. Arthur est lié par sa parole et laisse partir Guenièvre non sans de vifs regrets.

Gauvain reproche à son oncle d’avoir cédé à la folle exigence de Keu, et propose au moins de les suivre, pour savoir ce qui va se passer. Ils partent tous, mais comme ils approchaient de la forêt, ils en voient sortir le cheval de Keu, les rênes rompues, la selle brisée, l’étrivière teinte de sang.

Gauvain chevauche bien loin devant les autres, dont il ne sera plus question. Il rencontre un chevalier, en compagnie duquel il a plusieurs aventures extraordinaires. À un moment donné, le compagnon de Gauvain, qui a perdu son cheval, accepte, après une courte hésitation, de monter sur une charrette conduite par un nain. « C’était, dit Chrétien de Troyes, un déshonneur, car les charrettes servaient alors de pilori. » Mais le nain avait promis au chevalier, s’il consentait à monter sur sa char-

  1. La fin du roman est l’œuvre d’un ami de Chrétien, Godefroi de Lagni.