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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/50

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quand Rome, quelque hellénisée qu’on la suppose, aurait renoncé en sa faveur à son latin. Le seul énoncé de cette question fait éclater l’absurdité de l’hypothèse.

Quant à croire, comme cela a été inventé récemment, que toutes les langues parlées dans l’Europe primitive étaient les dialectes d’une sorte de pré-grec, langue des Pélasges, outre qu’on cherche vainement sur quelles données historiques repose un pareil système, encore faudrait-il tout au moins, pour se rendre, entrevoir par quel prestigieux tour de force on réduit à l’unité pélasgique (?) le ligure, le gaulois, l’ibérique, l’étrusque même, tout inexpliqué qu’il est. Encore si l’on pouvait du moins ramener à cette unité grecque ou pré-grecque les parlers modernes « si faussement appelés par les philologues, néo-latins ou romans ! « Mais cela même est impossible. Assurément on a pu établir certaines analogies entre la syntaxe grecque et la syntaxe française, par exemple ; Henri Estienne l’avait déjà fait ; mais le moyen de faire dériver notre conjugaison, ou la conjugaison italienne, de la grecque, notre système pronominal ou prépositionnel d’un système, même dorien, demeure introuvable. Bref, il est impossible, sans fantaisies de toutes sortes qui n’ont rien de commun avec la science et ses méthodes rigoureuses, de trouver entre nos dialectes et ceux des Grecs les rapports qui devraient exister pour qu’il pût être question de filiation.

Reste l’hypothèse qui dérive les langues romanes des parlers indigènes : mais comme il faut expliquer la parenté de ces langues romanes, que d’autre part on ne saurait prétendre sans moquerie, ni que le gaulois avait conquis l’Espagne et l’Italie tout entières, ni que tous les idiomes qui se parlaient sur cet immense territoire : ibérique, gaulois, ligure, toscan, dialectes italiques, étaient semblables, on écarte la plupart d’entre eux, l’ibérique, le ligure, le toscan. Première inconséquence grave dans une théorie qui s’appuie sur ce prétendu fait qu’un peuple n’abandonne jamais sa langue.

On suppose ensuite que le gaulois [entendez aussi le celtibérique (?), qui aurait conquis l’Espagne entière (?)] était tout voisin du latin. Les derniers descendants de Pezron admettraient même volontiers qu’il en était très proche parent, au même degré que l’ombrien ou l’osque.