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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/537

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finale peut être à intervalles inégaux : comme dans les chansons de geste et peut-être dans quelques romances (Bartsch, I, 2, 13). Mais cette inégalité d’intervalle ne peut exister si la formule mélodique est chantée et dansée. Si la poésie lyrique est née des danses populaires, elle a dû dès son origine posséder nécessairement une division régulière, simple si l’on veut, mais strophique[1].

Cette cadence finale, si elle est toujours chantée sur les mêmes paroles, constitue le refrain. Appelant a la formule mélodique répétée, nous avons le type : a + a +… refrain, et il est indubitable que c’est là la forme la plus populaire et la plus ancienne. Évidemment a peut contenir plus d’un vers, surtout si les vers sont courts. Si la cadence finale, naturellement toujours la même, est chantée sur des paroles différentes (ce qui suppose un seul chanteur), nous avons le type : a + a +… coda[2]. Si je ne me trompe, nous touchons ici de bien près à la raison primitive de la tripartition de la strophe artistique.[3] Il ne résulte pas nécessairement de là que la disposition des rimes doive suivre la division musicale ; elle la suivra pour a, mais quant à la coda, le fait d’avoir en tout ou en partie de nouvelles

  1. J’ai eu à ma disposition, mais trop tard pour en faire profiter mon texte, une dissertation de M. Titus Galino sur la musique et versification françaises au moyen âge (Leipzig, 1891. Nous sommes d’accord sur plusieurs points importants, ce qui me prive du plaisir d’être le premier à énoncer certaines théories, mais m’encourage à les trouver justes. M. Galino attribue, comme moi, une grande importance à la formule mélodique répétée (p. 7, 10, 11, 15, etc.) ; il a entrevu (p. 17) que c’est de la répétition de la formule soudée à une cadence finale (coda, ou refrain) que naît la strophe ; il passe en revue différents types de strophes et de vers (et comme l’espace me manque pour être complet, son travail peut, pour cette partie, faire suite à mes modestes observations, bien que toutes ses conclusions ne soient pas assurées). Il s’occupe bien du refrain, mais la question n’est pas résolue ; il faudra y revenir. Enfin il indique très bien les problèmes qui restent encore obscurs dans les relations entre la musique et le rythme.
  2. M. Galino désigne chaque vers par une lettre, je ne crois pas cette méthode tout à fait bonne ; il me semble que, dans un traité complet, on devrait désigner les rimes par des minuscules, et par des majuscules la formule mélodique, par exemple :

    Aaab + Aaab + codaab ;


    mais de toute manière on doit voir que A, même enfermant trois vers, est une formule unique. L’auteur lui-même s’en est aperçu. « On pourrait penser, dit-il, que a ne constitue une phrase musicale qu’avec b, autrement c’est quelque chose d’incomplet » : on ne pouvait mieux dire !

  3. Il était inévitable que la répétition de a se bornât peu à peu à ne plus se faire que deux fois dans la poésie artistique qui naturellement diminuait cette répétition conventionnelle et élargissait la coda. Il faut observer que cette tripartition strophique n’est réellement qu’une bipartition musicale en formule répétée + cadence finale.