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posée d’une seule phrase, nous avons la série monorime : etc. À ce type (si nous laissons de côté pour le moment le refrain) appartient le plus ancien exemple de musique profane : l’Alba bilingue du ms. de Rome (Vatican, 1462)[1]. Rappelons ici en passant la laisse monorime des plus anciennes chansons de geste ; nous en avons un exemple frappant, quant à la musique, dans l’ancienne parodie d’Audigier[2]. Mais généralement la formule mélodique se divise en deux phrases distinctes dont la première présente et dont la seconde complète la pensée musicale. C’est le cas de la « chantefable » d’Aucassin et Nicolette (XIIIe siècle) dans laquelle, bien que la laisse monorime soit conservée, on trouve la forme musicale [3], etc.

C’est probablement dans la répétition de la formule mélodique, soit simple, soit complexe, qu’il faut chercher l’explication de la formation de la strophe. Il est très vraisemblable que cette répétition mélodique entraîna avec elle la répétition de l’élément qui, dans la poésie, se rapproche le plus du caractère musical, c’est-à-dire de la rime. De là vient le fait naturel que les plus anciennes séries de vers, de nombre indéterminé ou strophiques, ont une tendance prononcée vers l’homotéleutie. Mais ce principe de la répétition de formule mélodique entraîne une conséquence nécessaire, c’est que, quand la répétition cesse, il y ait une phrase musicale, une cadence, quelques notes finales, quelque chose enfin qui nous en avertisse[4].

Quand la formule mélodique répétée est courte et simple et que les vers sont monorimes, cette phrase musicale ou cadence

  1. Restori, Notazione musicale dell’Alba bilingue, Parma, Ferrari, 1892. Appelant a la formule mélodique, le type est a + a + a + refrain.
  2. En notation moderne dans l’ouvrage de M. Tiersot, p. 406. Elle nous est cependant conservée par Adam de la Halle ; il n’est donc pas certain qu’elle soit authentique ; elle est pourtant à phrase unique.
  3. En notation moderne dans l’ouvrage de M. Tiersot, p. 409. Les vers d’Aucassin sont heptasyllabes, ce qui explique le balancement de la phrase musicale sur deux vers. Peut-être le passage de à explique-t-il le changement du vers des chansons de geste (qui a passé du décasyllabe au dodécasyllabe), ce qui permet de faire cadrer ce balancement mélodique dans le corps de chaque vers Voir L. Gautier, Épopées fr., II, 115-17.
  4. Ce quelque chose peut être même un cri aigu et pénétrant, comme on le trouve fréquemment chez les paysans italiens. Mais c’est plus souvent une cadence musicale, une vocalise qui imite un instrument pastoral ou des variations sur de simples voyelles (Eya, Aeo, Aoi du Roland ?).