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LES FABLIAUX

mais en combien d’autres, les jongleurs les montrent avares, cupides, orgueilleux, escortés de leurs prestresses, et les bafouent, et les traînent, avec une joie jamais lassée, à travers les aventures tragiquement obscènes ! (Voir le Prêtre et le Chevalier, le Prestre qui eut mere à force, Aloul, le Prêtre au lardier, le Prêtre et le Loup, le Prêtre teint, les quatre Prêtres, Estormi, le Prêtre qu’on porte, le Prêtre crucifié, Connebert, etc.

Pareillement, ils ont, à un degré qu’on ne saurait dire, le mépris des femmes. Certes, il faut se garder de toute exagération. Les contes gras ont dû fleurir dès l’époque patriarcale, aux temps de Seth et de Japhet. Les plus anciens vestiges de littérature qui nous soient parvenus des hommes quasi préhistoriques, les textes exhumés des nécropoles memphitiques, sont précisément des contes durs aux femmes ; les plus anciens papyrus d’Égypte nous révèlent les infortunes conjugales d’Anoupou. Hérodote nous parle d’un Pharaon que les dieux ont rendu aveugle et qui ne pourra guérir que si, par une rare bonne fortune, il rencontre une femme fidèle à son mari, et M. Maspéro dit, à propos de ce conte léger : « L’histoire, débitée au coin d’un carrefour par un conteur des rues, devait avoir le succès qu’obtient toujours une histoire graveleuse auprès des hommes. Mais chaque Égyptien, tout en riant, pensait à part soi que, s’il lui fût arrivé même aventure qu’au Pharaon, sa ménagère aurait su le guérir — et il ne pensait pas mal. Les contes grivois de Memphis ne disent rien de plus que les contes grivois des autres nations : ils procèdent de ce fond de rancune que l’homme a toujours contre la femme. Les bourgeoises égrillardes des fabliaux du moyen âge et les Égyptiennes hardies des récits memphitiques n’ont rien à s’envier ; mais ce que les conteurs nous disent d’elles ne prouve rien contre les mœurs féminines de ce temps. »

Voilà qui est spirituellement et sagement dit ; mais à cette grivoiserie superficielle s’entremêle souvent chez nos auteurs une sorte de colère contre les femmes, méprisante, et qui dépasse singulièrement les données de nos contes. Il ne s’agit plus de « ce fond de rancune que l’homme a toujours contre la femme » ; mais d’un dogme bien défini, profondément enraciné, que voici : les femmes sont des êtres inférieurs et malfaisants.