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LE ROMAN DE LA ROSE

du verger. C’est le miroir périlleux : malheur à qui s’y mire ! C’est un engin de Cupidon. C’est ici la Fontaine d’Amour, dont tant de livres, romans et latins, ont parlé (v. 1519-1610).

Guillaume regarda dans ce miroir dont il ignorait la vertu ; il y vit entre mille choses des rosiers en fleur ; il s’en approcha et leur parfum le pénétra jusqu’au cœur. Avec quel plaisir il aurait pris une de ces roses ! Mais c’eût été manquer de courtoisie envers le maître du verger. Pourtant un bouton lui plut et l’attira si vivement qu’il l’aurait cueilli s’il n’en avait été empêché par les épines et les ronces de la haie qui entourait les rosiers (v. 1611-1688).

Cependant, sans qu’il s’en doutât, il était suivi du dieu d’Amour. Celui-ci, caché derrière un figuier, le vit en contemplation devant le bouton et en profita pour lui décocher coup sur coup trois flèches appelées Beauté, Simplesse, Courtoisie, et chaque blessure rendit le jeune homme plus désireux du bouton, dont la vue le soulageait. Ne pouvant le cueillir, il se tenait près de la haie, pour du moins le voir et le sentir. Mais lorsqu’il y fut resté quelque temps, il reçut une nouvelle flèche, Compagnie, puis une autre encore, Beau-Semblant, dont la pointe, trempée dans un baume, laissait dans la blessure une douceur qui remettait le cœur (v. 1689-1890). Après avoir vidé son carquois, Amour s’avance et Guillaume se rend à lui et se déclare son homme lige ; le dieu tire de son aumônière une petite clef d’or et lui ferme le cœur (v. 1891-2032), puis lui explique ses commandements (v. 2033-2274). Il lui enseigne ensuite à quels soucis, à quelles peines l’amant est exposé (v. 2275-2592) ; mais aussi comment il est soutenu dans ses épreuves par Espérance, Doux-Penser, Doux-Parler et Doux-Regard (v. 2593-2776).

Après cet exposé de l’art d’aimer le dieu disparaît et l’amant reste seul, perplexe, entre le désir et la crainte de franchir la haie. Bientôt un jeune homme s’avance vers lui ; c’est Bel-Accueil, fils de Courtoisie, qui l’invite à s’approcher des roses. L’invitation est acceptée avec empressement (v. 2777-2836).

Non loin de là était caché Danger[1], un vilain hideux, gar-

  1. Pudeur.