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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

il faut qu’ils se montrent de nouveau à nos yeux, éternels plastrons des malicieuses attaques de Renard qui, lui, est le plus immortel de tous, étant le plus invulnérable.

Sources du Roman de Renard. — Cette individualité nettement accusée des personnages, cet accord constant et en quelque sorte tacite entre tant de poètes pour donner aux héros les mêmes attitudes et les présenter dans des situations toujours identiques les uns vis-à-vis des autres, voilà des caractères vraiment épiques. Et c’est par là que le Roman de Renard se distingue de ses sources. Nos trouvères, en effet, en dépit du nombre et de la variété de leurs récits, n’ont presque rien inventé. S’il est un mérite dont ils se sont peu souciés, c’est celui de l’originalité. Comme presque tous les poètes de l’époque, ils ont pris paresseusement des thèmes tout faits. On a cru longtemps que les fables antiques seules les leur avaient fournis, que le Roman de Renard se rattachait directement à la littérature latine des cloîtres et des écoles. Sans doute, en lisant les titres de certaines branches, comme le Partage du lion, Renard et le corbeau, Renard et le coq, Renard médecin, etc., on songe aussitôt aux recueils phédriens qui ont traité des sujets analogues. Il n’était pas rare d’ailleurs, parmi les clercs, entre le xe siècle et le xiie, de composer, sur le modèle des apologues classiques, des drames d’animaux plus amples que ceux-ci et ne différant guère des branches du Roman de Renard que par leurs intentions didactiques, satiriques ou allégoriques. Nos poètes auraient donc été les héritiers et les continuateurs des moines qui leur auraient transmis les fables antiques et leurs propres créations conçues sur le modèle de ces fables. Cette explication des origines du Roman de Renard n’est vraie qu’en partie. Il est incontestable que certaines de nos branches se sont inspirées des fables ésopiques ou des poèmes latins sortis des cloîtres. Mais entre les deux ouvrages il n’y a qu’un lien indirect et une parenté lointaine. Ce n’est guère par les livres que les auteurs du Roman de Renard ont dû avoir connaissance de ces fables et ces poèmes. À force d’être traitées dans les écoles, d’y servir de thèmes pour des développements littéraires, les scènes d’animaux étaient passées, en quelque sorte, dans le domaine commun,