Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/496

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puis saint Louis, eurent passé sur le trône, sa prépondérance fut définitivement assurée.

Longtemps auparavant, du reste, on constate que son ascendant commence à s’exercer. Il ne faudrait pas croire que les œuvres dont je parlais plus haut, pour provinciales qu’elles soient, représentent fidèlement la langue des provinces. Beaucoup n’en ont que quelques traits. En Champagne, par exemple, Bien avant Joinville, Chrestien de Troyes subit profondément l’influence du langage de Paris, et ne conserve de son champenois que quelques particularités. Ailleurs, il est visible que le scribe ou l’auteur ont fait effort pour se rapprocher de ce que tout le monde commençait à considérer, pour employer une expression postérieure, comme « le bel usage ».

Quelques écrivains nous ont du reste exprimé ouvertement leurs préférences. Un Français d’abord, Garnier de Pont-Sainte-Maxence, près Compiègne, qui, dans son remarquable poème de Saint-Thomas le Martyr (écrit entre 1170 et 1173), se vante d’écrire en français correct :

Mes languages est buens, car en France fui nez[1].

Un Lyonnais ensuite, Aymon de Varenne, qui, écrivant à Châtillon sur Azergue en 1188, abandonne son parler lyonnais, qui « est sauvage aux Français », pour essayer « de dire en lor langage al mieus qu’il a seü dire ».

À cette époque de nouvelles causes contribuent à assurer la suprématie de Paris. La littérature en langue vulgaire devenant, ainsi que le dit M. Gaston Paris, de moins en moins populaire, « y trouve son centre, comme les études latines, auxquelles elle se rattachait de plus en plus, y avaient le leur. C’est là qu’on traduisait la Bible, qu’on rédigeait les chroniques royales, que Henri d’Andeli et Rustebeuf prêtaient aux querelles universitaires la forme de la poésie française, que Jean de Meun écrivait la seconde partie du Roman de la Rose, et que les hommes de talent, désireux de se faire connaître, accouraient de toutes parts. Avec le règne de Charles V, la cour allait devenir pour un temps le centre de toute littérature sérieuse[2]. »

  1. Hist. litt. de la France, XXIV, 402.
  2. La litt. fr. au moyen âge, p. 7. Froissarl raconte qu’en 1388, Gaston Ph. de