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Aussi commence-t-on à railler les accents et les parlers provinciaux. De là les moqueries adressées à Conon de Bethune († 1224), à la cour d’Alix de Champagne, et sa protestation si souvent citée :

La roïne ne fit pas que cortoise
Qui me reprist, ele et ses fius li rois.
Encor ne soit ma parole françoise,
Si la puet-on bien entendre en françois.
Cil ne sont pas bien apris ne cortois
Qui m’ont repris, se j’ai dit mot d’Artois
Car je ne fui pas nouriz à Pontoise.

De là aussi les précautions d’un Jean de Meun, dans sa traduction de Boèce[1] :

Si m’escuse de mon langage
Rude, malostru et sauvage ;
Car nés ne sui pas de Paris,
Ne si cointes com fut Paris ;
Mais me raporte et me compère
Au parler que m’aprist ma mère
A Meun quand je l’alaitoie,
Dont mes parlers ne s’en desvoye,
Ne n’ay nul parler plus habile
Que celui qui keurt à no ville.

On peut rapprocher encore de ces témoignages le récit naïf du miracle opéré par les restes de saint Louis sur un sourd et muet de naissance, en 1270. Quand ce malheureux recouvre la parole, ce n’est pas dans son patois bourguignon, mais en français correct, « comme s’il fût né à Saint-Denis, qu’il se met à converser »[2]. Cette comparaison revient d’ailleurs plusieurs fois[3], et il est désormais facile de voir que bientôt il y aura en France une langue nationale et que ce sera celle de Paris et de


    Foix lui parlait non en son gascon, mais « en bon françois » (éd. de Lettenhove, XI, 3).

  1. Léop. Delisle, Inv. des mss. français, II, 327. Cf. la Chronique de Ph.Mousket, éd. Reiffenberg., Préf., p. cl. On peut voir dans un petit dialogue publié par Jubinal {Jongleurs et trouvères, 52 et suiv.), le Privilège aux Bretons, comment on se moque de la façon dont les Bretons écorchent le français. Cf. plus loin pour l’Angleterre.
  2. Acta sanctorum, août, V, 566, F.
  3. Par exemple chez Adenet le Roi : Quand il veut dire que la reine Berte parlait bien français, il dit qu’on l’eût crue née au « bourg à Saint-Denis ». On a dit aussi que Chaucer opposait le jargon de Strafford-at-Bowe au langage de Paris : il a été montré récemment que le « français de Strafford-al-Bowe » n’est qu’une expression pittoresque et plaisante pour désigner l’anglais du cœur de l’Angleterre, le plus pur par conséquent.