Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/499

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le triomphe prochain de la langue centrale, à la suite de l’entrée en jeu de nouveaux et puissants facteurs, tels que l’instruction et le service militaire obligatoires, la presse quotidienne ; mais la longue résistance d’idiomes qui n’ont pour eux que l’habitude et la tradition, est de nature à donner à réfléchir à ceux qui admettent l’extinction subite d’une langue, et la croient disparue parce qu’elle a cessé de s’écrire.

Les éléments dialectaux du français. — En pénétrant sur le territoire des anciens dialectes, le français s’est altéré à leur contact et a pris diverses physionomies, il s’est mélangé d’expressions, de constructions locales, et la prononciation surtout y a pris diverses couleurs particulières qu’on nomme accents, qui permettent de reconnaître assez facilement non seulement un Comtois d’un Normand, mais un Nancéien d’un Vosgien, ou un Stéphanois d’un Lyonnais, bien que nés à quelques kilomètres de distance. Nos pères, au temps où la pureté du langage était une élégance et la marque la plus estimée d’éducation, avaient fait de gros recueils de ces provincialismes, souvent très nombreux ; ils ne les ont pas corrigés pour cela ; les hommes les plus cultivés, ceux même qui ont reçu une éducation grammaticale supérieure, ne s’en défont jamais complètement.

Mais il y a plus, et le français académique lui-même a adopté et naturalisé un assez grand nombre de mots pris aux patois. Cette infiltration, qui se continue, a commencé il y a fort longtemps, dès les origines de la langue, elle a même été autrefois plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Je ne sache pas que la statistique de ces emprunts soit faite nulle part ; néanmoins, d’après les données éparses dans les dictionnaires étymologiques, et en particulier dans ce qui a paru du Dictionnaire général de MM. Darmesteter, Hatzfeldt et Thomas, il est facile de voir que, parmi les dialectes de langue d’oui, c’est la région normanno-picarde, comme on pouvait s’y attendre, qui a le plus fourni au français. De là viennent arroche, bequebois, bercail, bouquet, bouquin (cornet à —), broquette, broquillon, caillou, calumet, camus, canevas, cloque, débusquer, déroquer, écaille, étriquer, fauchette, flaque, freluquet, hagard, hercheur, marlou, moquer, rebus[1].

  1. Bénét est proprement normand, caboche, fabliau, sont picards.