Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/503

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système vocalique latin, comme il est la base de la versification.

L’ancien français possédait, il est vrai, pour compenser cette infériorité, une série de diphtongues, caractère qui le sépare nettement du français actuel. Nous n’avons plus aujourd’hui que des diphtongues apparentes et orthographiques : dans les unes, la première voyelle sonne comme une véritable consonne[1] ou bien le son des deux voyelles est réduit à celui d’une voyelle simple[2]. Il en est tout autrement dans la vieille langue, les diphtongues y sont réelles, elles sont bien, suivant la définition des grammairiens, la combinaison produite par la prononciation rapide, en une seule émission de voix, de deux voyelles, dont l’une, tantôt la première, tantôt la seconde, dépasse l’autre en intensité ; ai n’est pas l’équivalent pur et simple de é, comme aujourd’hui dans aider ; il n’est pas non plus la juxtaposition de a et de i, telle que nous l’entendons dans le participe haï, mais une combinaison assez semblable à celle qu’on trouve dans le cri du charretier haïe !

Ces sons, dont les langues étrangères nous donnent très bien l’idée, s’étaient créés en très grand nombre pendant toute la période de formation, soit par le simple développement des voyelles latines elles-mêmes[3], soit par réaction sur elles des consonnes qui les entouraient[4]. Nous ne pouvons ici reprendre cette histoire, mais elle avait eu pour résultat de donner au vieux français une série de dix diphtongues : ai, éi, ói, òi, ui ; èu, ou, òu ; iè, et (plus tard ue, oe), et même une combinaison, non plus de deux, mais de trois voyelles différentes, ieu.

Un changement de prononciation considérable, le plus grand

  1. Dans roi, oi sonne comme wa : rwa ; dans cuir, ui sonne comme ẅi : küir ; dans bien, i sonne comme y (cf. yeux) hyen.
  2. Dans air, ai équivaut à e (cf. frêle, grêle) ; dans pauvre, au = ô : pôvr, ainsi de suite.
  3. Dès avant le VIIe siècle, ĕ latin, devenu è, et ò, devenu o, se diphtonguent dans les syllabes toniques, où elles ne sont pas protégées par un groupe de consonnes, dont la seconde soit autre que r. La première passe à ie : mĕl = miel, bĕne = bien, pĕdern = pied ; la seconde à uo, qui du XIe au XIIIe siècle deviendra successivement ue, oe, et au XIVe eu : nŏvum = nuof, noef, neuf ; bŏvem = buef, boef, beuf (bœuf). Du VIIe au IXe siècle, dans les mêmes conditions, ē = ei (ensuite oi)regem = rei, roi ; me : =mei, moi ; et ó donne óu, plus tard eu, florem = flour, fleur.
  4. Une gutturale précédant un a dans les conditions indiquées à la note précédente le change en ie : capum (pour caput) = chief ; collocare = colchier (coucher). Quand elle le suit, elle se réduit peu à peu à un y, i, qui fait diphtongue avec la voyelle : pacem = pais (écrit aujourd’hui par imitation latine paix), factum = fait.