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sonnes, ils furent traités à leur tour de la même manière que les anciens, et parab’la (issu de parabola) devint paraule = parole, déb’ta (de débita) dette, plac’re (de placere) plaire. Un grand nombre de groupes, après s’être maintenus un certain temps, se réduisirent encore, par exemple ceux dont la première était une s. Dès le XIe siècle, cette s s’éteignit devant les sonores, au XIIIe siècle devant les sourdes ; les mots espieu, escart, estat, pasmer, si longtemps écrits de la sorte, se prononcèrent dès lors comme aujourd’hui, tout en continuant à s’écrire par s.

En outre, pendant cette période, entre la fin du XIe siècle et le commencement du XIIe siècle, un nouvel adoucissement, et d’une certaine importance, se produisit encore. Les dentales finales qui subsistaient jusque là à la fin des mots disparurent : virtutem, qui en était resté à la prononciation vertut, devint vertu, pacat, de paiet, passa à paie. Le même changement se produisit pour les gutturales et les dentales médiates : d et g disparurent : odir (de audire) se réduisit à oïr, sedeir (de sedere) à seeir[1]

Ce n’était pas tout gain pour l’harmonie, et un inconvénient passager devait résulter de cet amuïssement. En tombant, les consonnes mettaient en présence des voyelles antérieurement séparées, il se créait des hiatus qui n’ont pas tous disparu. En effet, quand le d, un instant maintenu dans saluder (salutare), s’éteignit, il fit rencontrer u et e, comme ils se rencontrent encore dans notre mot saluer. De même pour cruel, et bien d’autres. Ici les hiatus sont conservés, mais le plus grand nombre a été réduit dès le moyen âge, soit par la transformation de la première voyelle en consonne : écüelle (prononcez ekvvele), soit par l’intercalation d’une consonne : paredis = pareïs, parevis, parvis ; veant, veyant, voyant.

En somme, regardé dans son ensemble, le mouvement des consonnes dans le passage du latin au français, tout divers qu’il est, tend et aboutit à un résultat très un. C’est à peine si quelques finales, remontant la chaîne d’articulation, passent de la douce à la forte[2]. Partout ailleurs, affaiblissements, réductions, amuïssements, tout ce long développement phonétique diminue

  1. Le scribe qui nous a transmis la chanson de Roland laisse ainsi tomber le d ; en comparant son texte au vrai texte français original, tel que M. G. Paris l’a restitué dans ses Extraits, on se rend compte du changement.
  2. Ainsi bœuf de bov (em), neif de niv (em), siet de sed {em).