Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/527

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l’envahissement du participe présent de toutes les conjugaisons par la forme en ant de la conjugaison en er est complet ; le nouveau procédé de dérivation des adverbes à l’aide du mot mente, devenu un suffixe véritable, est d’application courante, bref, qu’on considère ce qui est mort du latin, ou ce qui est né du français, l’action des deux grands facteurs psychiques, qui, en même temps que la dégradation phonétique ont travaillé à la décomposition du latin et à la constitution du français, je veux dire l’analogie et l’esprit d’analyse, est assez accusée, pour que de grands résultats soient acquis, et qu’il n’y ait plus de doute sur la direction prise par la langue, ni de possibilité qu’elle s’en écarte.

Mais du IXe au XIIIe siècle de gros changements interviennent encore, que je ne puis passer en revue en détail ; ils portent tous à peu près les mêmes caractères que les précédents et proviennent de l’action des mêmes forces linguistiques ; le nombre des formes purement latines, j’entends par là bien entendu, des formes régulièrement modifiées par la prononciation, va toujours diminuant. Ainsi les nombres ordinaux étaient restés jusqu’à dix ceux du latin : autre, tiers, quart, quint, sisine, sedme, oidme, nœfme, disme. Au XIIe siècle naissent les formes en ieme, et sisme, sedme, oidme, noefme sont éliminés. Quelques traces des démonstratifs simples latins subsistaient. On retrouvait hoc dans o de por o, dans uoc, uec de por uec ; les Serments et l’Alexis ont encore ist ou mieux est de istum, ces débris avec quelques autres disparaissent.

Dans la conjugaison surtout les bouleversements continuent. Un temps simple s’éteint à son tour, c’est le plus que parfait, qu’on trouve dans les anciens monuments tels que la Cantilène d’Eulalie et le Saint-Léger : avret (habuerat), voldret (voluerat), fisdret (fecerat), laiséret (laxarat) n’ont déjà plus aucun analogue dans le Roland. Les désinences ons, ez, prennent une extension croissante[1]. À peine eis (= etis) qui eût donné oiz, apparaît-il dans le français proprement dit ; presque tout de suite il est chassé par ez des subjonctifs d’abord (chanteiz), ensuite des indi-

  1. On peut dire que ons n’est régulier nulle part. Ni amus, ni emus, ni imus, ne donnent ons, qu’on croit venu de umus (sumus). Amanus devrait être amainz, movemus = mouveinz ; venimus = venz, etc., etc.