Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/531

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use sans les comprendre, la vieille classification des adjectifs en deux catégories est chose morte. Ces archaïsmes-là, on l’a dit assez justement, ce sont les fossiles de la langue[1].

2° Même sur certains points, où le système ancien semble mieux conservé, l’écart n’est pas moins grand, soit que les séries de formes aient été réduites au point de mutiler le système, soit que nous n’en ayons gardé qu’un sentiment vague et confus. Je vais donner deux exemples de l’un et de l’autre cas, frappants tous deux, et tous deux pris aux deux systèmes essentiels de variation des mots : la déclinaison et la conjugaison.

Ce qui caractérise peut-être mieux que toute autre marque la conjugaison française ancienne, au-dessus des faits partiels auxquels nous avons fait allusion, ce sont les variations du radical des verbes. Dans la conjugaison latine certaines formes sont accentuées sur le radical : ámo, d’autres sur la flexion : amáre. De là, suivant une règle à laquelle j’ai déjà fait plusieurs fois allusion, deux destinées différentes pour les voyelles. á tonique de ámo devient ai : j’aim ; a atone reste a : amer (Cf. je claim = clámo ; clamer = clamáre). Ajoutons que la flexion exerçait aussi quelquefois une influence, par exemple quand elle commençait, ce qui arrive souvent, par e ou i. Ainsi audiam donnait j’oye ; valeo, valio = je vail, tandis qu’ailleurs le même radical tonique était respectivement o (il ot), et al, an (il valt, vaut).

Un même verbe pouvait donc avoir deux et trois radicaux différents, qui alternaient jusque dans un même temps, par exemple à l’indicatif présent. On conjuguait :

lef (de laver) claim (de clamer) agriege (de agregier) espoir (de espérer)
leves claimes agrieges espoirs
leve(t) claime(t) agriege(t) espoirt
lavons clamons agrégeons espérons
lavez clamez agrégiez espérez
lèvent claiment agriegent espoirent
  1. Bientôt, si le français était abandonné à lui-même, les quelques comparatifs, synthétiques que nous gardons encore seraient à ce rang. Graignor (plus grand), halçor (plus haut), forçor (plus fort), sordeis (pire) ont déjà péri. Maire, majeur, sire, seigneur ne se sont maintenus que comme substantifs. Nous n’employons plus comme comparatifs véritables que moindre, moins, pire, pis, meilleur, mieux. Et plusieurs d’entre eux sont très menacés : pire et pis cèdent la place à plus mauvais et plus mal ; moindre ne s’entend plus guère : on dit plus petit.