Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/536

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d’un nouveau système. Et cependant, par rapport au français moderne, l’écart est plus grand encore. Car l’usage régulier de la déclinaison, si rudimentaire qu’elle fût, l’emploi encore fréquent du régime sans préposition des noms personnels avec la valeur d’un génitif ou d’un datif[1], et surtout la distinction normale des sujets et des régimes, en un mot l’existence d’un débris de syntaxe des cas, suffit pour placer le vieux français parmi les langues à flexion casuelle, tout au bas si l’on veut, mais malgré tout dans une catégorie où le français moderne ne saurait entrer.

À vrai dire, ce n’est pas sur ce seul chapitre que le français ancien apparaît comme plus synthétique que le français moderne. La différence y est seulement plus saillante, parce qu’il y a eu là, dans la décadence du système latin, une sorte de temps d’arrêt, un état intermédiaire instable, mais qui a duré néanmoins jusqu’à la fin du moyen âge proprement dit, tandis qu’ailleurs ce période n’existe pas. Il n’en est pas moins vrai que les flexions, autres que les flexions casuelles, ont joué au début, dans les rapports de la phrase, un rôle qu’elles n’ont plus aujourd’hui.

Dans le verbe, par exemple, outre que plusieurs personnes sont maintenant semblables dans l’orthographe elle-même, d’autres se confondent dans la prononciation : aussi l’usage des pronoms personnels s’est-il généralisé au point de devenir obligatoire, et les grammairiens n’ont-ils fait que rédiger une règle qui s’imposait d’elle-même, quand ils ont exigé que chaque verbe, à moins qu’il n’eût un sujet nominal, fût accompagné d’un pronom sujet. N’est-ce pas je, tu, il qui distinguent je chante, tu chantes, il chante, plutôt que les ombres de flexion qui se succèdent après le radical ? L’état du vieux français n’est sur ce point pas comparable à celui qu’on constate de nos jours. Les flexions sont non seulement plus distinctes, nous l’avons vu, mais plus réelles. D’où il résulte que leurs substituts actuels sont moins employés. Pendant quelque temps, ils ne figurent même guère dans la phrase que pour insister sur l’idée de per-

  1. On trouvera souvent dans la vieille langue des phrases comme celles-ci : li fil sa medre ne la voldrent amer (les fils de sa mère ne la voulurent aimer) ; ne porres men père faire honte (vous ne pourrez en faire honte à mon père).