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sonne ou mettre des sujets en opposition. C’est à partir du XIIe siècle que leur usage s’étend et que leur valeur diminue[1], mais même au XIIIe siècle, il s’en faut encore de beaucoup qu’ils soient devenus obligatoires, et il faudra des siècles encore pour qu’ils passent au rôle qu’ils ont aujourd’hui, de véritables flexions préverbales, chargées de marquer le nombre et la personne.

Et si l’on voulait instituer une comparaison régulière et prolongée, dans le même ordre d’idées, entre le français ancien et le français moderne, on arriverait à des constatations analogues sur plusieurs points, d’où, par suite, à cette conclusion que les flexions, au fur et à mesure que les siècles se sont écoulés, ont diminué non seulement en nombre, mais en valeur syntaxique, et que leurs fonctions se sont progressivement réparties entre des mots, spéciaux ou non, souvent longtemps avant leur chute[2].

Mais, quelque importants que soient ces faits, il est inutile d’y insister davantage, puisque j’ai déjà marqué à propos des formes mêmes, comment l’esprit d’analyse a été sans cesse les dépouillant de leur valeur, quelquefois en les laissant subsister. Voici quelques traits du vieux français qui appartiennent plus particulièrement à sa syntaxe.

Variété et liberté. — Un de ceux qui frappent à toute première vue, c’est que cette syntaxe est, à la différence de la nôtre, extraordinairement variée. L’abondance des tours est telle qu’elle surprend parfois même ceux qui ont eu l’occasion d’admirer la souplesse du grec ancien. Qu’on considère par exemple les propositions hypothétiques, aujourd’hui si pauvres de formes ; l’ancien français peut, tout d’abord y distinguer, comme les langues anciennes, l’hypothèse pure et simple, le

  1. C’est aussi à partir du XIIe siècle que, par suite de ce mouvement, il, sujet des verbes impersonnels, se développe. On s’habitue peu à peu à ne plus voir un verbe, même sans sujet personnel, non accompagné d’un pronom personnel.
  2. Qu’on considère par exemple les pluriels. S’il en est de réels comme travaux, canaux, le plus grand nombre est apparent, et l's ne s’entend guère dans la prononciation courante. Ce sont les mots qui accompagnent le substantif, articles, possessifs, etc. qui marquent le nombre. Les genres sont souvent nettement distincts, beaucoup plus que les nombres, témoins première, heureuse, impératrice ; mais il arrive aussi que l’adjonction de l’e muet est insuffisante : armée, finie ; et la difficulté est résolue comme plus haut.

    Sur d’autres points la langue savante lutte avec la langue populaire pour le maintien des flexions. Ainsi pour le relatif elle impose de dire : la femme à laquelle fai vendu un parapluie. Le peuple dit : la femme que j’y ai (= je lui ai) vendu un parapluie, Le datif est marqué par un pronom personnel, lui, ajouté exprès, le relatif restant seulement chargé d’exprimer la fonction de relation.