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de formes, les pronoms n’étaient pas définitivement séparés des adjectifs : on dit d’une part celle et même icelle maison tombe, cist m’a meurdri et de l’autre ceste maison tombe et cil ou icil m’a menrdri[1]. La même observation pourrait se faire sur les possessifs. Nous reconnaissons, nous, nettement, pronoms et adjectifs ; les mêmes formes en ancien français ont les deux rôles. On possède déjà le moyen de séparer le comparatif du superlatif relatif, à l’aide de l’article ; ils se confondent néanmoins encore constamment. Les personnels ont une forme légère et une lourde, me et moi ; elles se remplacent dans une foule de cas.

Bref, de toutes parts, les formes, au lieu d’être strictement limitées dans leurs fonctions, empiètent les unes sur les autres. Il n’en est pas d’exemple plus frappant que celui de la syntaxe du verbe, et particulièrement des temps. Non seulement le passé simple et le passé composé se substituent l’un à l’autre dans certains cas, ce qu’ils font encore, mais ce même passé simple tient très souvent lieu de l’imparfait[2]. De plus les autres passés, ceux qui ont aujourd’hui pour fonction exclusive de

  1. Voici le tableau des formes du démonstratif en vieux français.
    SINGULIER
    Latin : * ecciste Latin * eccille Latin * eccoc (ecce hoc)
    Masculin Sujet icist, cist icil, cil
    Régime direct cest (cet, ce) cel
    Régime indirect icestui, cestui icelui, celui (celui)
    Féminin Sujet iceste, ceste (cette) icelle, celle (celle)
    Régime
    Régime indirect (icestei) iceli (celi)
    Neutre icest iço ço (ce)
    cest
    PLURIEL
    Masculin Sujet icist, cist icil, cil
    Régime icez, cez (ces) icels (iceus), cels, ceus (ceux)
    Féminin Sujet icestes, cestes, cez (ces) icelles, celles.
    Régime


    Les formes en caractères romains mises entre parenthèses sont dialectales. Les formes, entre parenthèses aussi, mais en italiques, sont celles du français moderne, beaucoup plus pauvre, comme on voit, en démonstratifs simples. Dans tout ce matériel, le vieux français — pour ne pas parler des dialectes qui mêlent parfois les genres : celui, cestui et cesti — distingue à peu près le démonstratif prochain cist (celui-ci) de cil (celui-là), encore d’une manière bien irrégulière. Mais il confond les régimes directs et indirects, cel et celui, cest et cestuy ; il ne sait pas choisir entre les formes complètes comme cestes, et les formes abrégées comme cez, au moins quand le démonstratif est adjectif, emploie indifféremment cestuy, et icestuy, icest et cest. La disparition du sentiment de la déclinaison au XIVe siècle achève de tout confondre.

  2. Ex. : Aiol, 10 233 :

    Mervelles s’entramoient, durement s’orent chier.


    (Ils s’aimaient étonnamment, s’eurent rudement chers.)