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philosophie, les mathématiques, l’astronomie, l’art maritime, la pyrotechnie la médecine, la chimie, et jusqu’à la cuisine. Nous avons pris aux Sarrazins les choses les plus variées, depuis un système de chiffres et des commentaires d’Aristote jusqu’à des pigeons voyageurs, des armoiries, des instruments de musique, des modes, des étoffes, des fleurs et des plantes potagères.

Or, s’il est arrivé souvent que les objets importés n’ont eu d’autre nom que celui de la ville d’Orient où ils avaient été pris, comme l’ail d’Ascalon, ou l’étoffe de Damas[1], d’autres ont gardé leur nom arabe plus ou moins défiguré. Ces derniers sont en assez grand nombre et constituent en français un fonds assez considérable[2].

Toutefois il est très difficile, dans ce fonds arabe, de classer avec précision les mots par époques[3] et surtout par provenance ; de savoir s’ils sont venus par les livres ou par le commerce, ou même s’ils sont d’importation directe ou indirecte. Les uns, par exemple matelas, sirop, girafe, semblent passés par l’italien ; d’autres, par exemple bourrache, caroube, chiffre, par le bas-latin des savants[4]. On constate cependant que le grand nombre est venu d’Espagne, où les Maures ont fait un si long séjour, et où leur culture a été portée si haut[5].

Le nombre de ceux qui paraissent rapportés des croisades est peu considérable. On cite coton, gazelle, fakir (v. fr. faki), housse, jupe, luth, mameluk, quintal, truchement (v. fr. durgeman). L’ancienne langue en connaissait quelques autres : aucube (tente, cf. alcôve, venu du même mot arabe par l’espagnol) ; fonde (marché) meschine (jeune fille, servante), rebèbe (violon à trois cordes) etc.

  1. Cet ail s’est appelé eschalogne, puis, par changement de suffixe, eschalette, d’où échalotte ; damas ne paraît pas avant le XIVe siècle.
  2. À vrai dire, ce fonds n’a jamais comPlètement cessé de recevoir de nouveaux termes : calfat est du XIVe siècle, arsenal, camphre, douane, du XVe ; aldébaran, alcali, azimut, café du XVIe et du XVIIe ; la conquête de l’Algérie a introduit encore tout récemment goum, burnous, etc, comme nous le verrons. Néanmoins les mots arabes étaient bien plus nombreux en ancien français.
  3. Amiral, ciclatons sont déjà dans Roland. On y trouve déjà aussi mahomerie, mot de dérision, qui désigne les superstitions, les pratiques idolâtres, les temples de la religion de Mahomet.
  4. Jarre, en prov. jarra, est en espagnol et en portugais jarra, en italien giara ; toutes ces formes correspondent à l’arabe djara ; mais d’où est prise la forme française ? c’est difficile à déterminer.
  5. Je citerai abricot, port, albricoque, ar. al birkouk (mot d’or. latine) ; alcade esp. alcalde, ar. al-qaʻdi ; alcôve, esp. alcoba, ar. al-qobba : algèbre, esp. algebra, ar. al-gãbr, elixir, esp. eliksir, ar. el-iksir ; hoqueton, v. fr. auqueton, esp. alcoton, ar. al-qoʻton ; mesquin, esp. mezquino, ar. meskin.